Si Nikolaï Rimski-Korsakov (1844-1908) reste aujourd’hui connu pour ses
formidables talents d’orchestrateur qui lui ont permis d’achever nombre
d’ouvrages lyriques de ses contemporains, notamment ceux de Moussorgski
et Borodine, son célébrissime chef-d’œuvre symphonique Shéhérazade
(1888) masque plus encore l’étendue de sa propre production,
considérable dans tous les domaines. Dès les années 1990, on doit à
Valery Gergiev d’avoir su révéler en dehors de la Russie quelques-uns de
ses quinze opéras, en gravant cinq pour Decca, mais faisant l’impasse sur La Fille de neige
(1882), pourtant considéré comme le meilleur d’entre eux par l’auteur
lui-même. On pourra en effet se laisser aisément transporter par
l’imagination orchestrale toute de légèreté et de clarté faisant la part
belle aux vents, au bénéfice d’élans envoûtants et poétiques, un rien
naïfs et sucrés ici ou là, mais incontestablement séduisants.
Pour autant, ce sont probablement les faiblesses dramatiques de l’argument qui ont conduit Gergiev à écarter ce troisième ouvrage lyrique, inspiré par les contes de fées et illustrant la veine panthéiste de l’auteur. Autour du récit initiatique de l’impossible éveil amoureux de la belle Snegourotchka, envoyée parmi les hommes par ses parents l’Hiver et le Printemps, le livret se disperse trop sur des considérations contemplatives qui rendent hommage à la puissance et à la beauté de la nature. Des moments essentiels de l’histoire sont ainsi ramassés au détriment de toute vraisemblance, comme le retournement soudain de Mizguir, faisant la cour à Snegourotchka sous les yeux de sa promise Kupava, ou la non moins rapide conversion de cette dernière aux charmes du berger Lel.
Comme attendu, le metteur en scène russe Dmitri Tcherniakov – dont c’est là la troisième incursion dans l’univers lyrique de Rimski-Korsakov après les réussites de La Fiancée du Tsar et de La Légende de la Cité invisible de Kitège et de la vierge Févronia – choisit d’évacuer le contexte féerique pour donner davantage de cohérence dramatique aux personnages. Sa transposition de l’action dans une communauté hippie autonome, non contente de proposer une splendide traduction visuelle dans une forêt retranchée, lui permet d’interroger le monde contemporain à travers les velléités de ses interprètes à reconstituer un folklore disparu ou encore de moquer les nouveaux modèles de séduction hétérosexuelle à travers l’aspect androgyne et efféminé de Lel (rôle confié à un contre-ténor en lieu et place d’un contralto).
Les choix de Tcherniakov ont aussi pour avantage de donner davantage d’épaisseur aux personnages de cette histoire: la Fée Printemps devient dès lors une diva prisonnière de son cours de danse misérable avec les enfants du village grimés en animaux, tandis que son portrait truculent réalisé par le Tsar Berendeï, transformé en peintre gourou, évoque la nostalgie de leurs amours de jeunesse. On notera enfin les nombreux sous-textes ajoutés ici et là, comme le chant amoureux entre Kupava et Lel au III, où les deux protagonistes hilares font mine de ne pas avoir vu Snegourotchka pour mieux lui faire regretter ses illusions perdues. De même, le rejet du cadavre de l’héroïne au devant de la scène, en un geste péremptoire à la fin de l’opéra, sera l’ultime illustration de son incapacité à se fondre dans les règles de la communauté, provocant l’indifférence du gourou déjà retourné à ses affaires. On reconnaît là l’esprit incisif de Tcherniakov pour saisir la cruauté humaine dans toute son étendue.
Pour autant, ce sont probablement les faiblesses dramatiques de l’argument qui ont conduit Gergiev à écarter ce troisième ouvrage lyrique, inspiré par les contes de fées et illustrant la veine panthéiste de l’auteur. Autour du récit initiatique de l’impossible éveil amoureux de la belle Snegourotchka, envoyée parmi les hommes par ses parents l’Hiver et le Printemps, le livret se disperse trop sur des considérations contemplatives qui rendent hommage à la puissance et à la beauté de la nature. Des moments essentiels de l’histoire sont ainsi ramassés au détriment de toute vraisemblance, comme le retournement soudain de Mizguir, faisant la cour à Snegourotchka sous les yeux de sa promise Kupava, ou la non moins rapide conversion de cette dernière aux charmes du berger Lel.
Comme attendu, le metteur en scène russe Dmitri Tcherniakov – dont c’est là la troisième incursion dans l’univers lyrique de Rimski-Korsakov après les réussites de La Fiancée du Tsar et de La Légende de la Cité invisible de Kitège et de la vierge Févronia – choisit d’évacuer le contexte féerique pour donner davantage de cohérence dramatique aux personnages. Sa transposition de l’action dans une communauté hippie autonome, non contente de proposer une splendide traduction visuelle dans une forêt retranchée, lui permet d’interroger le monde contemporain à travers les velléités de ses interprètes à reconstituer un folklore disparu ou encore de moquer les nouveaux modèles de séduction hétérosexuelle à travers l’aspect androgyne et efféminé de Lel (rôle confié à un contre-ténor en lieu et place d’un contralto).
Les choix de Tcherniakov ont aussi pour avantage de donner davantage d’épaisseur aux personnages de cette histoire: la Fée Printemps devient dès lors une diva prisonnière de son cours de danse misérable avec les enfants du village grimés en animaux, tandis que son portrait truculent réalisé par le Tsar Berendeï, transformé en peintre gourou, évoque la nostalgie de leurs amours de jeunesse. On notera enfin les nombreux sous-textes ajoutés ici et là, comme le chant amoureux entre Kupava et Lel au III, où les deux protagonistes hilares font mine de ne pas avoir vu Snegourotchka pour mieux lui faire regretter ses illusions perdues. De même, le rejet du cadavre de l’héroïne au devant de la scène, en un geste péremptoire à la fin de l’opéra, sera l’ultime illustration de son incapacité à se fondre dans les règles de la communauté, provocant l’indifférence du gourou déjà retourné à ses affaires. On reconnaît là l’esprit incisif de Tcherniakov pour saisir la cruauté humaine dans toute son étendue.
L’entrée au répertoire de l’Opéra de Paris de cet ouvrage est aussi l’occasion de découvrir dans le rôle-titre la soprano russe Aida Garifullina, déjà applaudie à plusieurs reprises à Vienne et annoncée comme l’une des grandes stars de demain. Ne nous y trompons pas: le triomphe fort justement recueilli lors de la première samedi soir nous fait dire que la jeune femme, à seulement 29 ans, est déjà au firmament. Aussi bien l’incarnation théâtrale, toujours juste et maîtrisée, que l’émission fluide et aérienne, sont au service d’un timbre d’une pureté pénétrante. Loin de se contenter de ce joyau, la production parvient à réunir un autre chanteur d’exception en la personne de Yuriy Mynenko (Lel), d’une puissance étonnante pour un contre-ténor, à l’expression naturelle et souple, à l’aise dans toute la tessiture.
On se félicitera également du choix de Martina Serafin dont les aigus perçants contrastent avec le soyeux des graves, offrant à sa Kupava une superbe noirceur vocale dans la fureur, un rien plus en retrait dans la douleur (une critique déjà émise ici même dans son incarnation d’Elsa de Brabant ici-même en début d'année). A ses côtés, le Mizguir de Thomas Johannes Mayer aux faux airs de Bryn Terfel déçoit quelque peu par un timbre fatigué et une émission engorgée, tandis que Maxim Paster (Le Tsar Berendeï) laisse entrevoir toute sa classe autour d’une ligne de chant d’une noblesse éloquente, digne de ce pilier de la troupe du Bolchoï. Outre un chœur parfait, on notera l’excellence des seconds rôles, au premier rang desquels les truculents Vasily Gorshkov (Bobyl Bakula) et Carole Wilson (Bobylicka).
Directeur musical du théâtre Michel de Saint-Pétersbourg, Mikhail Tatarnikov se distingue dans la fosse par son souci du détail et des nuances toujours au service de l’œuvre: jamais alanguie, sa direction avance en soutenant constamment les chanteurs par la vivacité de son imagination. Comme la jeune Aida Garifullina, ses débuts parisiens sont une incontestable réussite.
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