Comme chaque année, l’Atelier de recherche et de création pour l’art
lyrique (ARCAL), compagnie nationale de théâtre lyrique et musical, nous
propose l’un de ses spectacles phares en tournée à travers toute la
France. Après l’excellente production de La Petite renarde rusée en 2016-2017, l’ARCAL semble désormais se tourner vers un répertoire résolument baroque, avec Caligula de Pagliardi en 2017, puis Didon et Enée
de Purcell. On retrouve précisément au Théâtre de l’Athénée l’Ensemble
Diderot, qui a travaillé l’an passé sur ce dernier spectacle, encore
visible pour quelques dates, à Quimper les 18 et 19 novembre prochains,
puis à Reims les 18 et 19 février 2021.
En attendant, place au Crésus de Reinhard Keiser (1674-1739),
plus célèbre ouvrage lyrique d’un compositeur qui a fait la plus grande
partie de sa carrière à Hambourg, peu avant Telemann. Composé en 1711,
puis révisé largement en 1730, tant pour les numéros que pour les
tessitures, l’opéra est présenté dans cette dernière version,
manifestement sans coupure (la durée du spectacle dépasse les trois
heures avec un entracte compris), à laquelle ont été apportées quelques
modifications pour renforcer la dramaturgie: fusion et réduction de
certains rôles, notamment Solon qui chante les airs dévolus à Halimacus,
sans qu’il possible de distinguer les deux personnages. En dehors de
certains récitatifs un peu trop longs, la musique variée de Kaiser donne
beaucoup de plaisir, même si le livret se perd trop dans les méandres
amoureux. De même, on pourra s’étonner du titre de l’ouvrage, alors
qu’Elmira et Atys occupent bien davantage la scène que le malheureux
Crésus, absent d’une grande partie de l’action.
Quoi qu’il en soit, la qualité de l’ensemble justifie la résurrection de
cet ouvrage, engagée dès les années 1990 avec les disques de René
Clemencic (Nuova Era, 1999), puis René Jacobs (Harmonia Mundi, 2000). Sur scène, quelques autres raretés sont occasionnellement tirées de l’oubli, par exemple Arsinoé à Berlin en 2006 ou La Généreuse Octavia au festival d’Innsbruck en 2017.
On ne peut que se féliciter d’avoir fait à nouveau appel à l’excellent
ensemble de musique de chambre Diderot, créé en 2009 et élargi en
formation d’orchestre dès 2015. Cette spécificité est immédiatement
audible, tant chaque pupitre se distingue individuellement à force de
détails et de couleurs. De plus, le chef italien Johannes Pramsohler (né
en 1980) prend souvent le premier violon dans les parties endiablées,
afin de donner davantage de corps à l’ensemble. Globalement, l’ancien
élève de Reinhard Goebel oppose le tranchant des passages rapides, très
enlevés et sans vibrato, aux parties plus élégiaques, d’un grand
raffinement dans l’expressivité. Cet écrin donne beaucoup de contraste
et permet aux chanteurs de se distinguer sans forcer. Il est vrai que le
plateau vocal réuni pour l’occasion frise la perfection, alors même que
le nombre de rôles est considérable.
Ainsi de la lumineuse Elmira de Yun Jung Choi, aussi impériale
techniquement dans les accélérations et les vocalises, qu’affirmée au
niveau dramatique, ou encore de Marion Grange (Clerida, Trigesta) aux
belles couleurs et aux phrasés aériens. On reste aussi bluffé par la
prestation d’Inès Berlet (Atys), ivre d’assurance et de musicalité dans
un rôle masculin qui lui va comme un gant, tandis que Ramiro Maturana
(Crésus) fait montre d’une belle sûreté dans les graves. Tous les
seconds rôles se montrent à la hauteur, même si on pourra trouver un
rien outrées les bouffonneries de Charlie Guillemin (Elcius).
Enfin, la mise en scène déjantée de Benoît Bénichou n’est pas pour rien
dans la réussite de la soirée, apportant beaucoup d’énergie à l’ensemble
avec un univers visuel bling-bling aussi fastueux que décadent,
très imaginatif dans les costumes et maquillages. Le mélange de
superficialité et de cruauté des personnages est ainsi parfaitement
rendu tout au long de la soirée. On mentionnera aussi le superbe travail
sur les éclairages, très variés, avec de beaux clairs-obscurs qui
mettent en valeur les nombreux reflets dorés des costumes et du cube
central bien revisité avec son plateau tournant. Bénichou ne se contente
pas de la seule folie visuelle et cherche à multiplier les interactions
dans les airs, avec un équilibre juste et efficace pour relancer
l’action. Un spectacle très réussi, aux outrances assumées, qui ne
laissera personne indifférent.
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