En attendant, loin du foisonnement psychanalytique de la comédie musicale de Weill, l’opérette de Strauss étonne par son action minimaliste, qui multiplie les ellipses à l’envi. Dès lors, l’ajout d’un narrateur permet de déméler les fils narratifs en un mélange d’esprit, de pédagogie et d’humour, en lien avec la pièce française dont est tiré l’ouvrage. Dans ce rôle de Monsieur Loyal, on retrouve la gouaille étourdissante de la comédienne Anne Girouard, Reine Guenièvre bien connue des amateurs de la série télévisée Kaamelott, tout comme des grands metteurs en scène actuels (Richard Brunel, Brigitte Jaques-Wajeman, Anne-Laure Liégeois…) avec lesquels elle travaille régulièrement. Au-delà des commentaires sur l’action, Anne Girouard prête sa voix à chacun des chanteurs dans les dialogues : un tour de force brillant qui permet de s’entourer d’une distribution vocale majoritairement germanophone. A l’exception de la narration regrettable lors de certains interludes orchestraux, ses interventions font mouche tout au long de la soirée, faisant souvent penser aux outrances délicieusement impertinente et décalée d’un Michel Fau. Dans le même temps, Lacornerie s’amuse à multiplier les interactions entre la voix et ses mimes (sans oublier le chef d’orchestre Claude Schnitzler, pris à parti par le désopilant Frosch – un rôle également interprété par Anne Girouard), tout en faisant souffler un vent de malice toujours élégant avec de petites saynètes finement stylisées, donnant à voir le côté caricatural des personnages à la manière des automates d’une horloge mécanique.
Sans doute stimulé par les trésors d’imagination mélodique de l’ouvrage, le plateau vocal brille de mille feux : compte tenu du nombre important de chanteurs en présence, il faut saluer la performance que de réunir une troupe homogène, aussi à l’aise au niveau vocal que dramatique. Ainsi d’Eleonore Marguerre qui impose une Rosalinde de caractère, bien affirmée vocalement, et ce malgré quelques aigus limites, tandis que Stephan Genz fait oublier son timbre terne par un abattage scénique très à propos. On lui préfère toutefois la voix ample, ronde et parfaitement projetée de Thomas Tatzl, et dans une moindre mesure le chant serein de Milos Bulajic, malgré une émission étroite. Parmi les autres satisfactions, Claire de Sévigné se distingue dans l’agilité des vocalises, de même que Stephanie Houtzeel et sa belle puissance d’incarnation.
Si le choeur de chambre Mélisme(s) assure l’essentiel, il en fait parfois un peu trop dans l’éclat, prenant le dessus sur la direction admirablement nuancée de Claude Schnitzler. A la tête d’un Orchestre de Bretagne en formation chambriste, le chef alsacien fait encore une fois l’étalage de sa sensibilité dans la fluidité de la narration et la nervosité des relances. Un spectacle à ne manquer sous aucun prétexte, que l’on pourra aussi voir sur les scènes d’Avignon et Toulon, à partir de la fin du mois de juin.
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