lundi 31 mai 2021

« Le Viol de Lucrèce » de Benjamin Britten - Théâtre des Bouffes du Nord à Paris - 28/05/2021

Si l’on excepte l’opérette Paul Bunyan, écrite pendant son exil américain en 1941, Benjamin Britten composa ses trois premiers opéras coup sur coup : entre la dénonciation des notabilités provinciales du chef d’oeuvre Peter Grimes (1945) et de son jumeau comique Albert Herring (1947), se dresse le sévère drame antique Le Viol de Lucrèce (1946), qui évoque la chute de la monarchie romaine au profit de la République, sur fond de drame personnel. Ce bijou sombre est malheureusement desservi par un livret beaucoup trop statique, de surcroît mâtiné d’exotiques références chrétiennes – un choix voulu par Britten, notamment dans l’épilogue final.

C’est d’autant plus regrettable que le compositeur anglais se montre à son meilleur au niveau musical, manifestement inspiré par ce huis-clos incandescent, tout autant que le défi d’écrire pour seulement treize instrumentistes et huit chanteurs. Il bénéficia aussi d’une interprète d’exception en la personne de Kathleen Ferrier, créatrice du rôle du choeur féminin, dont la disparition tragique en 1953 ne lui permit pas de figurer sur l’enregistrement discographique réalisé par le compositeur en 1971 (Decca).

Créé pour la réouverture du festival de Glyndebourne en 1946, avant de faire le tour de l’Angleterre lors d’une tournée dans la foulée, l’opéra se prête particulièrement à l’atmosphère intimiste des Bouffes du Nord et son acoustique toujours aussi chaleureuse : c’est là un lieu idéal pour un tel ouvrage, à l’instar du Théâtre de l’Athénée qui a déjà accueilli une production du Viol de Lucrèce par les jeunes solistes de l’Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris (ancien nom de l’Académie), en 2007, puis 2014.


La mise en scène a cette fois été confiée à Jeanne Candel, codirectrice du Théâtre de l’Aquarium depuis 2019, qui opte pour la sobriété d’une scénographie construite à vue par les interprètes, avec trois fois rien. La principale surprise vient du rideau de scène à moitié transparent, qui se révèle un immense filet de pêche, une fois déployé au sol. Avec cette évocation des origines géographiques de Britten en bord de mer, Jeanne Candel lie ainsi l’ouvrage avec le précédent (Peter Grimes), tout en montrant les femmes occupées à tisser, à la manière d’une Pénélope attendant le retour d’Ulysse. Candel choisit d’évacuer la contextualisation historique ou les références chrétiennes pour mieux se concentrer sur le drame de son héroïne, tandis que la présence quasi-omniprésente des deux chœurs apporte une distanciation avec le récit.

Cette proposition bénéficie de l’investissement scénique de Marie-Andrée Bouchard-Lesieur (Lucretia), très convaincante dans sa dignité outragée, autant que dans sa performance vocale à l’émission charnue et bien articulée. A ses côtés, le Tarquinius d’Alexander York se distingue par sa présence physique animale, autour de phrasés vivants et colorés qui donnent une séduction trouble à son personnage. On aime aussi la classe vocale de Tobias Westman (Choeur masculin), à la ligne poétique du plus bel effet, tandis qu’Andrea Cueva Molnar (Choeur féminin) montre une voix plus puissante, avec une prononciation anglaise moins naturelle et quelques placements de voix limites par endroit. De même, Aaron Pendleton (Collatinus) impressionne par le volume sonore et la résonance de l’émission, mais déçoit au niveau stylistique, trop brut de décoffrage. Des seconds rôles parfaits, se détache la Bianca de Cornelia Oncioiu, aux phrasés superbes d’aisance et de souplesse, le tout soutenu par un timbre chaleureux.

Dommage que la direction froide et sérieuse de Léo Warynski vienne un peu gâcher la fête : la précision des attaques, autant que la qualité des instrumentistes, sont pourtant des atouts indéniables. Il faudra davantage lâcher la bride à l’avenir afin d’éviter l’impression d’uniformité, trop lassante sur la durée.

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