mercredi 30 juin 2021

« Rigoletto » de Giuseppe Verdi - Opéra national de Lorraine à Nancy - 25/06/2021

Quel choc ! On aura rarement entendu un Rigoletto chanté avec une telle distribution, idéale jusque dans les moindres seconds rôles. Le public ne s’y est pas trompé en réservant une ovation chaleureuse à toute l’équipe artistique, avec de nombreux rappels en fin de représentation. Ce triomphe vocal tient en premier lieu au rôle-titre, aussi noble que bouleversant, incarné par le baryton espagnol Juan Jesús Rodríguez, bien trop rare sous nos contrées (à l’exception notable d’Avignon en 2017). La voix puissante, à l’émission souple et naturelle, donne beaucoup de place à la diction, permettant une interprétation d’une rare finesse au service du texte. A ses côtés, sa jeune compatriote Rocío Pérez (Gilda) n’est pas en reste en déployant des aigus d’une étonnante facilité lorsqu’elle est en pleine voix, même si on note une tendance à user d’un léger vibrato dans le médium. Mais ça n’est là qu’un détail tant l’ancienne chanteuse de l’Opéra Studio à Strasbourg n’en finit pas de séduire par sa présence dramatique.

C’est précisément en ce domaine qu’Alexey Tatarintsev (Le duc de Mantoue) met un peu de temps à s’investir dans son personnage au I, en une caractérisation trop extérieure qui occasionne des décalages avec la fosse, avant de se reprendre pleinement ensuite. Le ténor russe, à l’émission parfois trop étroite, affiche néanmoins une facilité déconcertante dans l’émission et la tenue de la ligne, parfaitement maitrisée sur toute la tessiture. Lui aussi est trop rare en France, même si on a pu l’entendre dans le répertoire russe (La Fiancée du Tsar de Rimski-Korsakov), voilà déjà six ans. Comment ne pas tomber aussi sous le charme d’Őnay Köse, qui donne à son Sparafucile autant de présence crapuleuse que de couleurs parfaitement projetées ? On mentionnera encore le timbre magnifiquement corsé de Francesca Ascioti (Maddalena), autre bel atout de la soirée.

Il fallait certainement de tels interprètes pour tenir tête à la direction étourdissante d’Alexander Joel qui surprend d’emblée par sa direction engagée, aux couleurs sombres splendides avec ses graves affirmés, particulièrement dans les passages cuivrés. Ce geste qui privilégie les contrastes donne au drame un relief saisissant, sans jamais couvrir les chanteurs. On regrette toutefois que la mise en scène de Richard Brunel ne rende l’orchestre muet en début de représentation, en imposant une bande-son enregistrée pour lancer le spectacle. Le parti-pris de la transposition contemporaine de Brunel consiste en effet à nous montrer les coulisses d’un théâtre, où l’on entend au loin la musique. Cette mise en abyme donne beaucoup de vie à l’ensemble, tout en permettant de se délecter d’une scénographie splendide, bien variée par les éclairages et les changements de décor à vue.

Mais l’idée la plus marquante est de donner une primauté à la danse, en faisant du Duc de Mantoue un maître de ballet et en ajoutant le rôle de la mère de Gilda (citée en fin d’ouvrage). confié à la danseuse étoile Agnès Letestu. Tout au long du spectacle, sa déambulation gracieuse lui donne des allures fantomatiques, annonçant le drame à venir. Richard Brunel poursuit sur cette thématique lors de l’entracte, en confiant à de jeunes danseurs le soin d’investir le foyer en un ballet virevoltant de fraicheur. Assurément une grande réussite pour ce spectacle que l’on retrouvera à Luxembourg, Rouen et Toulon lors des prochaines saisons.

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