En attendant, le Théâtre de l’Athénée a eu la bonne idée de s’associer à
l’Opéra de Fribourg-en-Brisgau pour faire connaître plus encore ce
bijou vénéneux, trop peu monté en France. Proche de Benjamin Britten
dans sa capacité à tirer des sonorités surprenantes d’un ensemble de
seulement quinze musiciens, l’orchestration de Thomas Adès convoque
autant l’accordéon, le saxophone que les nombreuses percussions. Les
influences musicales vont de Stravinski à Piazzolla, en passant par la
musique de cabaret, souvent présente dans ses déhanchés fantasques et
ses ruptures inattendues, tandis que le chant très varié s’adapte
admirablement aux situations dramatiques, avec de nombreux passages
traités à la manière de l’Ecole de Vienne.
Inconnu en France, le parcours atypique de Margaret Campbell fait scandale dans l’Angleterre puritaine des années 1960 lors d’un procès retentissant, avec ses frasques sexuelles révélées dans les moindres détails, du nombre d’amants (88) aux photos dénudées compromettantes. Volontairement concis et efficace, le livret évacue le rôle joué par les deux enfants issus du premier mariage de l’héroïne (qui la soutiendront dans sa déchéance) ou encore les nombreuses relations sexuelles avec des membres de la famille royale et du gouvernement. La capacité à jongler avec les différentes périodes, en de nombreux allers-retours dans le temps, donne une force constante au récit, construisant peu à peu la personnalité complexe de la scandaleuse duchesse. Parmi les dernières survivantes d’une époque révolue, Margaret Campbell fascine par sa capacité à aller de l’avant coûte que coûte, au mépris de toutes réalités pratiques, notamment financières.
Il revient à Julien Chavaz, décidément spécialiste des ouvrages contemporains britanniques (voir son travail dans L’Importance d’être Constant de Gerald Barry en 2019), de nous plonger dans l’univers mental tourmentée de l’héroïne: le choix du décor unique, bien revisité par des panneaux amovibles et un jeu subtil sur les éclairages, enferme symboliquement la duchesse dans une chambre dont elle ne semble jamais pouvoir sortir. Si ce parti pris donne à l’ouvrage une atmosphère de huis clos aussi étouffante que pertinente, elle laisse de côté la virtuosité des allers-retours dans le temps, tout en refusant de caractériser visuellement l’hilarante scène du procès. On se délecte tout du long du glamour des couleurs pastels et des poses lascives, à la manière du film Les Larmes amères de Petra von Kant de Fassbinder. Seule la direction d’acteur laisse quelque peu à désirer, laissant souvent les interprètes à eux-mêmes, à la limite du cabotinage par endroit.
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