dimanche 27 juin 2021

« Madame Butterfly » de Giacomo Puccini - Opéra national du Rhin à Strasbourg - 24/06/2021

Découvert à Strasbourg voilà deux ans dans la création française de Beatrix Cenci de Ginastera, le metteur en scène Mariano Pensotti (né en 1973) frappe encore très fort en cette fin de saison avec sa vision très personnelle de Madame Butterfly. Venu du théâtre, l’Argentin décide en effet d’enrichir le livret d’une histoire parallèle fictive, racontée au moyen des surtitres pendant tout le spectacle, le plus souvent lors des interludes orchestraux. Pensotti imagine le parcours de Maiko Nakamura, metteur en scène d’origine japonaise ayant quitté depuis longtemps son pays pour l’Europe, en pleine crise existentielle depuis le décès de sa mère. Son travail sur Butterfly fait remonter son rapport oublié aux origines, en soulevant des questions bouleversantes comme les raisons de sa fuite ou sa capacité à échapper au complexe du survivant (ses grands-parents sont morts dans les bombardements de Nagasaki). Si on peut regretter la place démesurée prise par cette idée au détriment du livret de Puccini, force est de constater qu’elle apporte un indéniable suspens, tout en s’entrecroisant avec le destin de Butterfly dans son désir de mort.

On est bien là dans la volonté affichée d’Alain Perroux, nouveau directeur de l’Opéra national du Rhin, de raconter des histoires, comme le proclame fièrement la brochure de saison 2021-2022 : “Il était une fois...”. Sur scène, à rebours du mélodrame, la mise en scène de Pensotti joue la carte de la sobriété en noir et blanc, refusant toute concession au Japon fantasmé, en un travail abstrait et épuré de toute beauté. Malgré une direction d’acteur trop statique, on se laisse peu à peu séduire par la poétique des symboles dévoilés peu à peu avec l’histoire parallèle de Maiko Nakamura : de l’arbre déraciné à la maison oubliée des grands-parents, les deux derniers actes fascinent par leur capacité à renouveler finement l’expression visuelle des souvenirs oppressants – ce “passé qui ne passe pas” (Pierre Bourdieu).

Côté voix, la soprano roumaine Brigitta Kele se saisit du difficile rôle-titre avec aplomb, faisant oublier quelques approximations dans le placement de voix suraigu pour mieux nous régaler de son timbre charnu, de ses superbes graves. A ses côtés, la Suzuki de Marie Karall fait étalage d’une technique sûre, qui gagnerait toutefois à davantage de prises de risque dans l’expressivité, tandis que Tassis Christoyannis (Sharpless) impressionne par sa classe vocale et son chant généreux. On est heureux de retrouver ce bel artiste dans un rôle à sa mesure, de même que l’impeccable Goro de Loïc Félix, admirable de souplesse et de musicalité sur toute la tessiture. Tous les seconds rôles se montrent à la hauteur, bien servis par la direction subtile de Giuliano Carella, qui ne couvre jamais le plateau (il est vrai aidé par la version “de chambre” proposée ici pour répondre aux impératifs de distanciation de la crise sanitaire). Le chef italien fait valoir un geste équilibré, aérien, admirable dans sa capacité à faire ressortir les détails et à différencier les pupitres, bien étagés dans la construction des crescendos.

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