Précipitez-vous! La création toulousaine de La Gioconda est l’un des grands événements lyriques de cette rentrée, avant tout parce que le chef-d’œuvre de Ponchielli (1834-1886) reste rarement monté dans l’Hexagone – la création parisienne n’ayant eu lieu qu'en 2013. L’ouvrage exige en effet de réunir un plateau vocal pléthorique, dont pas moins de six chanteurs de premier plan: c’est là une caractéristique du «grand opéra», mêlant manœuvres politiques et drames individuels. En un style à mi-chemin entre romantisme verdien et vérisme naissant, l’ancien professeur de Puccini et Mascagni n’a pas son pareil pour enfiévrer l’action de grandes scènes chorales de caractère, nombreuses et spectaculaires, avant de plonger finement dans les affres plus intimistes du mélodrame. On pourra bien entendu moquer quelques dialogues convenus, et ce bien que le livret, touffus et simpliste dans la caractérisation des personnages, soit de la plume d’Arrigo Boito, le génial librettiste du dernier Verdi. La musique, souvent prévisible dans ses tournures mélodiques, annonce Puccini dans la variété de l’orchestration colorée, et s’épanouit dans la célébrissime «Danse des heures», popularisée par le film Fantasia (1940) de Walt Disney.
Ne boudons donc pas notre plaisir de découvrir une musique certes
«facile», mais diablement efficace, notamment dans l’écriture vocale:
les plus grandes sopranos dramatiques, Callas et Caballé en tête, ne s’y
sont pas trompées et ont marqué le rôle-titre de leur empreinte, comme
le disque en témoigne brillamment. S’il est difficile de nos jours de
trouver une artiste qui leur arrive à la cheville, il faut au moins
reconnaître l’audace de Béatrice Uria-Monzon d’affronter ce rôle après
sa longue carrière de mezzo, qui lui a permis de chanter le rôle de
Laura dans la production de La Gioconda présentée à Marseille en 2014.
Las, on ne peut qu’être déçu par une technique désormais soutenue par
un vibrato envahissant sur toute la tessiture aiguë. Pour autant, elle
sait encore brûler les planches de son tempérament dramatique, qui fait
mouche dans les scènes de fureur, tout particulièrement dans les duos
avec sa rivale ou face au ténébreux Barnaba. A ses côtés, Ramón Vargas
(Enzo Grimaldo) est un peu plus emprunté dans son jeu scénique, par
ailleurs privé de mordant dans l’éclat. Mais son timbre magnifique, tout
autant que sa technique parfaite au service de phrasés souples et
naturels, est un régal tout du long. On aime plus encore l’émission
charnue et veloutée de Judit Kutasi, vivement applaudie dans son rôle de
Laura, à l’instar de la parfaite Agostina Smimmero (La Cieca), au chant
noble et altier.
Remplaçant à la dernière minute Marco Spotti, Roberto Scandiuzzi (Alvise) donne encore une fois une leçon de classe vocale, de celle qu’on écoute comme une évidence. Le timbre a beau avoir perdu de sa superbe, on ne peut que s’incliner devant un tel artiste. On est plus déçu en revanche par le Barnaba de Pierre-Yves Pruvot, qui offre certes une composition d’une belle noirceur, mais sonne trop rauque en de maints endroits, avec une émission étroite. Dans la fosse, tonitruant et volontiers premier degré, Roberto Rizzi-Brignoli, imprime une incontestable tension tout au long de la soirée, en croyant en la partition sans chercher à en extirper quelques subtilités: ce geste bénéficie des couleurs d’un splendide Orchestre national du Capitole, manifestement en forme, tandis que les chœurs, eux aussi très sonores (une volonté du chef?), étourdissent de leur virtuosité, le tout parfaitement en place.
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