Fêtées partout ailleurs en Europe, les mises scène de Damiano
Michieletto (né en 1975) restent beaucoup trop rares en France,
probablement en raison de ses deux dernières productions parisiennes
ratées, Samson et Dalila en 2016 et Don Pasquale en 2018. Plus réussi, son Barbier de Séville sera repris à Garnier en juin prochain, après avoir été présenté en 2014.
Une initiative louable, tant on se souvient de la capacité de l’Italien
à revisiter les ouvrages dans leur déroulé dramatique, sans pour autant
les brusquer d’une radicalité visuelle, ce qui nous avait valu l’un des
plus beaux spectacles vus à Francfort, avec Le Son lointain, de Schreker en 2019.
La nouvelle production d’Orfeo ed Euridice (1762) de Gluck
(1714-1787), donnée dans la version de Vienne en italien, avec l’ajout
du ballet parisien plus tardif, est un coup de cœur tout aussi fort.
Difficile à monter du fait d’une action trop statique (hormis
l’affrontement spectaculaire avec les Furies), l’ouvrage reste marqué
par la production intemporelle, merveille de poésie, réalisée par Pina
Bausch à Paris et plusieurs fois reprise.
Damiano Michieletto choisit un parti pris radicalement différent en
mettant au centre de l’action le chemin de douleur d’Orphée, qui semble
condamné à revivre éternellement la perte d’Eurydice, après son
inattendu suicide : c’est là une idée force de la mise en scène que de
montrer ce geste fatal à plusieurs reprises dans l’action, alors
qu’Orphée est interné dans une maison de repos. La scénographie
impressionne tout du long par son éloquente sobriété, où la froide et
impersonnelle blancheur des murs est habilement revisitée par le jeu sur
les volumes. La scène des Enfers est certainement la plus réussie, tant
le décor se rétrécit en emboîtant plusieurs cadres, offrant autant un
écrin acoustique bienvenu de résonance qu’un huis clos étouffant dans le
corps‑à‑corps avec les furies. La folie d’Orphée est suggérée par les
dernières scènes de ballet où sa promise se démultiplie sous ses yeux en
quatre doubles dévitalisés, tandis que l’Amour transformée en maître
des illusions se moque une dernière fois de la naïveté du héros
malheureux.
Face à cette merveille d’intelligence parfaitement réglée au niveau
visuel, la direction étourdissante de David Bates nous emporte dès
l’Ouverture, aux attaques sèches. Même si le chœur initial fuit trop
l’émotion, du fait d’un geste volontairement vif, l’élan aérien donne
une modernité bienvenue à l’ensemble, tout en marquant ostensiblement
les transitions entre les scènes, par des silences opportuns. Toute la
finesse de l’écriture épurée de Gluck, toujours au service de l’action
dramatique, ressort admirablement ici. Il faut dire que le plateau vocal
réuni n’est pas pour rien dans la réussite de la soirée. Ainsi de Carlo
Vistoli qui campe un Orphée des plus touchants, admirable sur le plan
technique, et ce malgré un suraigu au fort vibrato, au début. A ses
côtés, Nadja Mchantaf (Eurydice) n’est pas en reste dans la musicalité,
au velouté parfaitement projetée, tandis que Josefine Mindus (Amour)
assure bien son court rôle, par sa rondeur d’émission et sa prestance
naturelle. Mais c’est peut‑être plus encore la qualité superlative du
chœur Vocalconsort Berlin, fondé en 2003, qui donne beaucoup d’impact à
ses interventions, tout en faisant entendre chaque individualité. Un
grand spectacle à voir ou à revoir jusqu’au 7 juillet prochain, dans le
cadre toujours aussi chaleureux du Komische Oper de Berlin.
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