Le public flamand découvre pour la troisième fois le travail du trublion Ersan Mondtag, jamais avare de provocations dans ses mises en scène hautes en couleurs. Après les réussites du Forgeron de Gand de Schreker en 2020, puis du Lac d’argent de Kurt Weill l’année suivante, l’Allemand s’attaque à l’un des plus parfaits chefs d’oeuvre de Richard Strauss, adapté de la Salomé d’Oscar Wilde..
Disons-le d’emblée : il ne s’agit pas du travail le plus abouti de Mondtag, qui cherche certes à surprendre, mais au prix de partis-pris pour le moins contestables. Ainsi de l’utilisation répétée des mitraillettes pour figurer la violence du monde post-apocalyptique dans lequel les personnages sont plongés : les armes sont plusieurs fois utilisées par Salomé pour convaincre Jochanaan, puis Herodes, là où le texte préfère la persuasion psychologique, dans l’insistance tranquille mais déterminée de l’héroïne. Cette facilité se retrouve en fin d’ouvrage, lorsque les femmes prennent brutalement le pouvoir, tandis que Salomé chérit fébrilement la tête de l’homme qui s’est refusé à elle. Le choix de montrer une Salomé hésitante, alors que le monde s’écroule autour d’elle, donne ainsi à voir une personnalité plus complexe qu’il n’y paraît. Comme à son habitude, Mondtag s’appuie sur une scénographie et des costumes spectaculaires, dévoilés par le plateau tournant en de multiples saynètes lors des passages orchestraux. De quoi enrichir l’action au niveau visuel, sans apporter toutefois de réel apport sur le fond. On est ainsi assez dubitatif quant au choix de montrer Jochanaan sur le bord du plateau, en observateur extérieur du récit, alors que son sacrifice est imminent.
Face à cette mise en scène inégale, le plateau vocal montre lui
aussi quelques faiblesses notables. Ainsi du rôle-titre interprété par Allison Cook, qui peine à passer la rampe dans les tutti
souvent dantesques de Strauss, montrant davantage de finesse dans les
parties apaisées, malgré quelques suraigus arrachés dans les hauteurs de
la tessiture. Si l’interprétation est à la hauteur du personnage, on
est en droit d’attendre une Salomé autrement plus vaillante vocalement.
L’autre déception vient des couleurs ternes et de l’émission engorgée de Florian Stern (Herodes), qui fait pâle figure aux côtés de la toujours flamboyante Angela Denoke.
La soprano allemande conserve ce tempérament de feu qui brûle les
planches, faisant de chacune de ses interventions un grand moment
dramatique. On aime aussi le Jochanaan vibrant et incarné de Michael Kupfer-Radecky,
qui donne une belle hauteur de vue à son interprétation, autour de
graves bien projetés. Tous les seconds rôles se montrent à un niveau
superlatif, particulièrement le Narraboth touchant de Denzil Delaere.
Parmi les satisfactions de la soirée, la direction flamboyante d’Aléjo Pérez montre toutes les affinités du directeur musical de l’Opéra Ballet des Flandres avec le répertoire post romantique. La richesse des couleurs, tour à tour morbides et enchanteresses, tout autant que l’articulation des majestueux phrasés de Strauss, montrent un chef argentin à la fête, également inspiré dans la célébrissime et ensorcelante Danse des sept voiles, en fin d’ouvrage.
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