Le projet de rénovation de la salle historique du Komische Oper,
située à deux pas de l’avenue Unter den Linden, se poursuit depuis l’été
2023, ce qui explique pourquoi les spectacles sont relocalisés en
d’autres lieux, dont le principal est le Schillertheater, dans
l’ouest de la capitale. D’une capacité d’environ 1 000 places, ce
théâtre reconstruit en 1953 offre un rapport idéal avec la scène, ainsi
qu’une acoustique de bonne qualité, malgré un son un peu étouffé dans
les graves.
La nouvelle production d’Akhenaton (1983) de Glass s’y déroule à
guichets fermés, ce qu’indique le metteur en scène Barrie Kosky dans un
long entretien reproduit dans le programme du spectacle. La confiance
des Berlinois pour les productions de l’ancien directeur du Komische Oper
(2012‑2022), encore aujourd’hui metteur en scène en résidence, autant
que la popularité de la musique « minimaliste », semblent les raisons
évidentes de ce succès incontestable. Considéré comme l’un des
chefs‑d’œuvre lyriques de Glass, Akhenaton fascine en premier
lieu pour son sujet, qui met en avant la figure emblématique du créateur
de l’un des tous premiers monothéismes, avant Moïse. Si l’époux de
Néfertiti a acquis, de ce fait, une réputation toujours importante de
nos jours, force est de constater qu’on ne sait pas grand‑chose de lui,
ses successeurs s’étant évertués à faire oublier son héritage. Les
fouilles opérées à la fin du XIXe siècle ont toutefois donné
lieu à toute une série d’élucubrations plus ou moins fantasmatiques, du
fait des représentations du pharaon, à l’androgynie troublante.
La musique hypnotique de Glass, aux infimes variations d’intensité,
épouse ce destin énigmatique, sans chercher à constituer une dramaturgie
élaborée. Seuls quelques extraits lus par le narrateur en différentes
langues viennent situer les moments‑clés du récit. Les longs tableaux
agissent davantage comme des éléments de suggestion, qui nous baignent
dans plusieurs ambiances évocatrices. Le chant soliste, dans ses
scansions volontairement simplifiées au niveau textuel, agit le plus
souvent comme un instrument baigné dans le fondu orchestral, privé de
virtuosité. Seul le rôle‑titre et Néfertiti trouvent un chant plus
affirmé par endroits : à ce jeu‑là, John Holiday s’épanouit davantage
dans la rondeur des phrasés et la souplesse de transition entre les
registres, là où Susan Zarrabi impressionne par ses moyens plus
tranchants, parfaitement projetés. Tous les autres rôles montrent un
niveau d’une belle homogénéité, à l’instar du chœur, très investi, et du
chef américain Jonathan Stockhammer, à la direction admirable de
lisibilité.
La proposition de Barrie Kosky consiste à nous plonger dans
l’enfermement mental du pharaon, capable de renverser l’ordre établi des
religieux pour se laisser aller par la suite à un isolement fatal pour
son pays. Refusant toute figuration littérale d’une Egypte fantasmée, le
décor minimaliste en forme de cube blanc reste omniprésent pendant
toute la représentation, en imposant la concentration sur le moindre
détail révélé : la scénographie irréelle et intemporelle lorgne
plusieurs fois vers les aspects abstraits proches de l’univers de Bob
Wilson, avec quelques postures figées dans certaines scènes, mais
contrastées ensuite par un bouillonnement typique du travail vibrant de
Barrie Kosky en matière de direction d’acteur. L’Australien reste fidèle
à la non‑dramaturgie voulue par le livret, en cherchant à épouser la
signification profonde de chaque tableau, par la seule force de
l’expression visuelle. Dans cette optique, les corps sont
particulièrement mis au centre de l’attention : outre les sept danseurs
sollicités tout au long du spectacle en une performance physique
éprouvante, le chœur et les solistes composent des tableaux mouvants,
d’une beauté plastique renouvelée par l’infinie variété des éclairages,
entre jeux d’ombres et de couleurs (principalement en noir et blanc).
Les humeurs changeantes du chœur, du triomphalisme percussif initial au
lynchage du souverain, trouvent une évocation nerveuse au niveau
chorégraphique, aux allures de transe. De quoi mettre en relief les
scènes plus intimistes, notamment celles de la solitude du pouvoir,
toujours soutenues par les éléments visuels et la danse, deux atouts
décisifs de ce spectacle magnifique, malgré un léger essoufflement en
dernière partie.
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