Parmi les compositeurs les plus renommés de son temps, Alessandro
Scarlatti (1660‑1725) reste aujourd’hui injustement méconnu, malgré une
production considérable dans tous les domaines, particulièrement dédiée à
l’opéra (une centaine de titres) et à la musique religieuse. Malgré les
efforts de René Jacobs ces dernières années, ornés notamment d’une
prestigieuse création scénique à l’Opéra de Paris (avec l’oratorio Il Primo Omicidio), la figure de ce génie reste dans l’ombre de son fils Domenico, dont les sonates pour clavier figurent toujours au répertoire.
On ne peut donc que se féliciter de l’initiative du Festival d’Ambronay
de célébrer en grande pompe les trois cents ans de la mort de ce
compositeur emblématique de l’école napolitaine, capable de créer un
pont entre rigueur contrapuntique et lyrisme opératique (y compris dans
ses œuvres religieuses). Le tout premier concert du festival est ainsi
entièrement consacré à sa musique, avec les forces bien connues à
Ambronay des Ghislieri : en s’adressant au public, son fondateur Giulio
Prandi rappelle d’ailleurs que le Centre culturel de rencontre les a
très tôt soutenu, en accueillant leur premier concert en dehors d’Italie
dès 2012, avant de les inviter régulièrement ensuite (voir notamment
en 2014 et 2015).
Depuis, le chef italien a fait des débuts attendus à la Scala de Milan,
toujours accompagné de son ensemble sur instruments d’époque et de son
chœur, démontrant ainsi toute la confiance accumulée avec les années, au
concert comme au disque.
Giulio Prandi a choisi de centrer ce concert sur la dernière période
créative de Scarlatti, celle des années 1720, dont sont issues toutes
les œuvres présentées. Plusieurs extraits des Vêpres de sainte Cécile
sont ainsi donnés pour chauffer les troupes et entrer immédiatement
dans le style virtuose des mouvements d’apparat dont Scarlatti se fait
le chantre, en contraste avec des parties plus intimistes. L’une des
originalités de la soirée est de fréquemment entendre Scarlatti recourir
à l’ensemble des solistes réunis en quintette, offrant des couleurs
aussi expressives que soutenues. L’autre particularité de son dernier
style est de recourir à une alternance de motifs très courts pour
irriguer les morceaux, tous enchaînés sans temps mort. Même si elle
n’évite pas quelques banalités par endroits, l’imagination débordante de
Scarlatti réjouit tout du long, en ce qu’elle pétille et fourmille
d’idées.
Si l’orchestre, particulièrement les bois, se montre à la hauteur de l’événement, on note des cordes aiguës un rien timides (à moins que l’acoustique ne soit en cause ?), là où les graves apparaissent plus engagés en comparaison. Mais c’est surtout l’incomparable Chœur Ghislieri qui fait tout le prix de la soirée, avec un niveau d’homogénéité impressionnant de maîtrise, autour de sopranos aussi souples qu’aériennes. On aime ainsi la capacité du chœur à s’envoler dans les virtuosités requises par la partition, tout particulièrement la dernière partie très réussie du Credo. Chacune des interventions expressives est un moment de grâce particulièrement rendu par la direction toute d’équilibre et de précision de Prandi, très attentif aux nuances – notamment la construction étagée du tendre et hypnotique Agnus Dei, rythmé par d’énigmatiques pauses.
La soirée se conclut avec la création mondiale du Te Deum, récemment retrouvé dans les archives italiennes, qui poursuit sur les mêmes cimes d’inspiration, avant que la reprise du Magnificat initial, en bis, ne vienne apporter un dernier moment d’éclat à ce concert très réussi.
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