samedi 26 janvier 2019

« Il primo omicidio » d’Alessandro Scarlatti - René Jacobs - Opéra Garnier à Paris - 24/01/2019


En ce début d’année, la recréation française d’Il primo omicidio (1707), l’un des plus fameux oratorios d’Alessandro Scarlatti (1660-1725),  est un événement à ne pas manquer. Alessandro Scarlatti reste aujourd’hui davantage connu comme le père de son fils Domenico, célèbre apôtre du clavier dont on a entendu l’été dernier l’intégrale des sonates en concert dans toute l’Occitanie. Pour autant, Alessandro Scarlatti fut l’un des compositeurs les plus reconnus de son temps, en tant qu’héritier du grand Monteverdi et annonciateur de la génération suivante, dont celle de Haendel.

René Jacobs défend son vaste répertoire (deux fois plus d’opéras que Haendel, selon le chef belge) depuis plusieurs années : on se souvient notamment de son disque consacré, déjà, à Il primo omicidio (Harmonia Mundi, 1998) ou encore de sa Griselda donnée au Théâtre des Champs-Elysées en 2000. Invité pour la première fois à diriger à l’Opéra de Paris, le chef flamand investit le Palais Garnier avec son attention coutumière, en cherchant avant tout à réunir un plateau vocal d’une remarquable homogénéité. Pas de stars ici, mais des chanteurs que le Gantois connaît bien (comme Benno Schachtner et Thomas Walker, avec lesquels il s’est produit récemment à Ambronay), tous prêts à se plier aux moindres inflexions musicales du maître.


Il s’agit ici en effet de respecter l’esprit de l’ouvrage, un oratorio qui exclut toute virtuosité individuelle, afin de se concentrer sur le sens du texte : les récitatifs sont ainsi interprétés avec une concentration évidente, autour d’une prosodie qui prend le temps de délier chaque syllabe. D’où l’impression d’un René Jacobs plus serein que jamais, attentif à l’articulation des moindres inflexions musicales de Scarlatti, tout en prêtant un soin aux couleurs, ici incarnées par l’ajout bienvenu des cuivres, dont deux trombones. Le détail de l’orchestration, manquant, a été adapté à la jauge de Garnier, tout particulièrement le continuo soutenu avec ses deux orgues, deux clavecins, deux luths et une harpe.

De quoi mettre en valeur la musique toujours séduisante au niveau mélodique de Scarlatti, plus apaisée en première partie, avant de dévoiler davantage de contrastes ensuite. Les récitatifs sont courts, tandis que les airs apparaissent assez longs en comparaison. Le plateau vocal ne prend jamais le dessus sur les musiciens, recherchant une fusion des timbres envoûtante sur la durée : toujours placés à la proximité de la fosse (quand ce n’est pas dans la fosse elle-même au II), les chanteurs assurent bien leur partie, sans défaut individuel. Ainsi du remarquable Dieu de Benno Schachtner, petite voix angélique d’une souplesse idéale dans ce répertoire, tandis que Robert Gleadow montre davantage de caractère dans son rôle de Lucifer. S’il en va logiquement de même pour les rôles de Caïn et Abel, très bien interprétés, on mentionnera aussi l’excellence de l’Eve de Birgitte Christensen, aux couleurs admirables malgré des vocalises un rien heurtées, tandis que l’Adam de Thomas Walker démontre une classe vocale de tout premier plan.

On reste en revanche plus réservé quant à la mise en scène de Romeo Castellucci, fort timide en première partie avec sa proposition visuelle peu signifiante qui rappelle Mark Rothko dans les variations géométriques ou Gerhard Richter dans les flous expressifs stylisés. On se demande en quoi cette scénographie, splendide mais interchangeable, s’adapte au présent ouvrage, avant que la deuxième partie n’éclaire quelque peu sa proposition scénique. Comme il l’avait déjà fait pour ses débuts à l’Opéra de Paris en 2015 avec Moïse et Aaron, Romeo Castellucci s’interroge sur la dualité présente en chacun de nous en convoquant sur scène des enfants chargés d’interpréter les rôles des chanteurs – ces derniers restant dans la fosse avec l’orchestre.

L’une des plus belles images de la soirée est certainement la réunion des doubles personnages, comme deux faces d’une même personne enfin réconciliées, après avoir vécu l’expérience, douloureuse mais fondatrice, de la perte de l’innocence du temps de l’enfance.  A cet effet, on ne manquera pas de lire le remarquable texte de Corinne Meyniel, reproduit dans le livret conçu par l’Opéra national de Paris, qui évoque la richesse des interprétations de ce mythe universel. Enfin, la mise en scène n’en oublie pas de rappeler les allusions christiques que certains exégèses catholiques ont voulu voir dans le personnage d’Abel, tout en donnant à une Eve voilée, des allures troublantes de Marie implorant son fils perdu. Curieusement, Castellucci est moins convainquant au niveau visuel en deuxième partie, notamment dans la gestion imparfaite des déplacements des enfants. Une proposition en demi-teinte plutôt bien accueillie en fin de représentation par le public, et ce malgré les quelques imperfections mentionnées ci-avant.

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