Resté inachevé, l’ultime ouvrage de Jacques Offenbach continue de susciter les controverses musicologiques, entre différentes éditions critiques. La dernière en date appartient au spécialiste actuel d’Offenbach, Jean‑Christophe Keck, qui propose non pas une version figée et définitive, mais rassemble l’ensemble des sources disponibles : c’est sur cette base que le spectacle réunissant l’Opéra national du Rhin, où il a déjà été donné en début d'année, avec un plateau vocal différent), l’Opéra-Comique et le Volksoper de Vienne a choisi de construire une dramaturgie inédite de l’action, avec des dialogues réécrits par Peter te Nuyl, pour une durée totale du spectacle réduite à 3 heures (entracte inclus).
Ce parti pris a pour conséquence de resserrer le récit autour du chemin
initiatique d’Hoffmann, ce qui permet de plonger au cœur de ses
tourments intérieurs en liant les tableaux d’une sorte de psychanalyse
avec sa muse – ici transformée en ange gardien bienveillant, qui ne se
prive pas de réparties ironique et critique. La répétition des schémas
obsessionnels du héros conduit la muse à s’interroger sur sa vision de
l’idéal féminin, davantage intellectuelle que concrète, Hoffmann
préférant se réfugier dans la fantasmagorie, comme un cousin éloigné de
Don Quichotte. Ces dialogues très bien écrits apportent une touche
féministe très présente mais jamais écrasante, qui colle bien à l’air du
temps. On regrette toutefois que la concentration sur le héros se fasse
au détriment des personnages secondaires, réduits dès lors à peau de
chagrin, d’un point de vue dramaturgique comme musical.
La proposition scénique de Lotte de Beer, directrice artistique du Volksoper
de Vienne, plonge l’écrivain Hoffmann en une sorte de cauchemar mental,
représenté sous la forme d’une boîte volontairement étroite : est‑ce la
représentation de son appartement crasseux, dans lequel il revisite ses
désirs inaboutis et son manque d’inspiration artistique ? Quoi qu’il en
soit, le début du spectacle sobre et stylisé apparaît trop figé pour
convaincre, là où une imagination plus débridée aurait permis de bien
distinguer le fantasme du commentaire plus sérieux sur l’action. Après
l’entracte, Lotte de Beer prend davantage de risques en impliquant le
chœur dans les péripéties, en une direction d’acteur bien réglée. On
aime aussi l’idée de la spatialisation de l’Ensemble Aedes en plusieurs
endroits de la salle Favart, ce qui permet de se délecter de la
précision et de l’écoute mutuelle de cet ensemble vocal, parmi les
meilleurs du moment.
Enfin, il faut souligner toutes les qualités de la direction de Pierre Dumoussaud, en spécialiste reconnu de ce répertoire (voir Fantasio en 2018 et Le Voyage dans la lune en 2021) : la variété de son inspiration se régale des changements d’atmosphère, toujours au plus près de la conduite narrative. Un régal de contrastes virevoltants, au rebond rythmique volontairement architecturé dans les parties solennelles, plus souple et apaisé dans les parties lyriques.
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