Alors que la
cantatrice Jane Rhodes, créatrice du rôle-titre à l’Opéra Garnier en
1959, vient tout juste de nous quitter *, l’Opéra de
Massy présente la nouvelle production mise en scène par
Nadine Duffaut à Debrecen (Hongrie) en début d’année, et reprise ensuite
à Avignon et Reims avec des chanteurs différents. Un
spectacle de très bonne tenue.
On a tout dit sur Carmen. Partant sans doute de ce constat,
Nadine Duffaut choisit de revenir aux sources de la nouvelle éponyme de
Prosper Mérimée dont le narrateur est le malheureux
Don José. La version originelle de l’opéra sans récitatif est
ainsi choisie, rendant au drame toute son acuité par l’alternance de
théâtre et de chant.
L’histoire est bien connue : José aime Carmen qui l’aime en
retour, avant de lui en préférer un autre et précipiter à ses dépends le
geste tragique de celui qui ne peut se résoudre à
l’oublier. Le livret de Bizet ajoute le personnage de Micaela,
amoureuse de José, préférée à Carmen par la mère du soldat.
Nadine Duffaut met en avant ces deux rôles féminins, tout
d’abord la mère qu’elle choisit de faire incarner physiquement
alors que celle-ci n’a aucune partie à interpréter dans le texte
original, puis Micaela, qui va porter le coup fatal en fin
d’opéra, en lieu et place de José. Incapable d’empêcher le destin
tragique de son fils, la mère impose sa présence dès l’ouverture auprès
de Micaela, déclame elle-même le début de la lettre
reçue par José, puis apparaît en toile de fond au moyen de la
vidéo pendant le dernier acte. Au-delà de Carmen, le personnage du
soldat apparaît comme totalement cerné par des femmes qui
tentent de l’instrumentaliser jusque dans la mort de l’héroïne.
La production, qui transpose l’action dans les années 1950, se
révèle visuellement très réussie, avec des costumes bariolés de couleur
et des décors réalistes soignés. La mise en
perspective de la rue en arrière-scène permet une déambulation des
figurants très fluide, apportant un perpétuel mouvement, ainsi que de
subtils jeux d’éclairages dans les scènes plus intimes.
Des chanteurs prometteurs
L’un des grands intérêts de cette production est de réunir un
plateau de chanteurs exclusivement français, brillamment emmené par le
ténor Florian Laconi (Don José), au tempérament
dramatique porté par une diction impeccable et doté de tous les
moyens vocaux du rôle, pourtant très lourd. La Carmen de
Marie-Ange Todorovitch déçoit en comparaison. Avec une
présence scénique féline et un beau timbre chaud, la mezzo-soprano
interprète pourtant ce rôle depuis plus de dix ans sur les scènes
françaises et belges. Mais force est de constater que
la voix manque d’assise dans le médium, mettant souvent en péril
la justesse de l’émission. Méforme vocale d’un soir ou réelles
difficultés techniques les années passant ?
L’autre grand rôle féminin, celui de Micaela, est tenu par la
soprano Nathalie Manfrino, l’un des grands espoirs révélé il y a
cinq ans aux victoires de la musique classique. Très
applaudie, on avoue être peu sensible à son timbre de voix,
surtout dans l’aigu un peu forcé. Restent des pianissimos superbement
tenus, d’une aisance naturelle confondante. À ses côtés, le
baryton Pierre Doyen (Escamillo) ne remporte pas le même succès,
peut-être en raison de son allure placide et de ses insuffisantes
qualités d’interprète qui éclipsent un timbre superbe et
de réelles qualités de projection. Les seconds rôles sont
parfaits, plus particulièrement Julie Robart-Gendre (Mercedes) et
Hadhoum Tunc (Frasquita), qui font jeu égal avec le
rôle-titre dans le fameux trio des cartes du IIIe acte.
À la tête de l’orchestre national d’Île-de-France, excellente formation encensée par le magazine britannique Gramophone
pour son action pédagogique, Fabien Gabel tisse des
sonorités raffinées, dans un tempo un peu vif mettant souvent à
mal ses chanteurs, notamment le chœur de l’Opéra d’Avignon au
premier acte. Dans le célèbre air de la garde montante, les
jeunes chanteurs de la maîtrise des Hauts-de-Seine s’en sortent
mieux.
Autour d’une production globalement efficace, le plateau français
réuni avec beaucoup d’à propos par la direction de l’Opéra de Massy,
emporte l’adhésion d’un public enthousiaste,
ravi de ce beau mélange de chant et de théâtre.
* La ville du Plessis-Robinson rend opportunément hommage à cette
grande chanteuse, à l’occasion de l’exposition « Jane Rhodes, collection
privée » qui se tient à
L’Orangerie du 6 au 20 novembre 2011.
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