Depuis 1978,
Amedeo Fago et Fabrizio Beggiato nous invitent à contempler la
préparation d’un risotto sur la scène d’un théâtre. Ce même
rituel est donné à travers toute l’Europe, en Russie ou au Brésil.
À chaque fois, la cuisson immuable du même plat, dont seuls quelques
ingrédients changent, donne lieu au partage d’un repas
avec les spectateurs qui ont survécu à cette expérience.
C’est l’histoire d’une amitié de cinquante ans. Deux hommes se
rencontrent au lycée et vivent les évènements d’avril 1968 en Italie,
un mois avant ceux de Paris.
Dix ans après, les espoirs déçus, Amedeo Fago et Fabrizio Beggiato
font le constat d’un rêve qui n’a pas su prendre forme, d’une réalité
qui a repris ses droits. Amedeo, devenu
scénographe, travaille pour tous les cinéastes de renom
– Elio Petri, Marco Bellocchio, Ettore Scola ou Nanni Moretti. De son
côté, Fabrizio embrasse la carrière
universitaire en tant que spécialiste de philologie romane.
Sur le plateau, une marmite fumante posée sur une gazinière. Un
bouillon est déjà en préparation. À côté, un plan de travail avec
quelques ingrédients épars et une petite table ronde de
restaurant. Le couvert est déjà mis. Amedeo entre, hésite quelque
peu avant de s’asseoir, tandis qu’une voix off raconte des bribes du
récit de l’amitié commune avec Fabrizio. On comprend
rapidement que cet enregistrement n’est autre que la pensée
d’Amedeo, qui se souvient pour tromper l’ennui. Il grignote en effet
quelques gressins, ces petits biscuits apéritifs italiens bien
connus, et joue machinalement avec quelques allumettes.
Dans le même temps, des extraits de films amateurs sont montrés en
toile de fond. La voix off, qui se perd dans les détails du quotidien,
dans ces petits riens de l’existence, s’appuie sur les
quelques images de la vie du lycée des deux étudiants italiens ou
des révoltes de 1968.
Un rituel obsessionnel et radical
Puis Fabrizio entre à son tour. Comme Amedéo, il est muet pendant
toute la pièce. Comme son ami, sa pensée est traduite à travers la
bande-son à deux voix alternées, pendant qu’il fait
cuire un risotto, avec toute la méticulosité requise pour réussir
son plat.
Le spectateur contemple ce spectacle, entre étonnement et
impatience. Certains s’ennuient. La banalité factuelle du récit et la
préparation du risotto désorientent. Ceux qui attendent des
réponses sont rapidement déçus : c’est davantage un ressenti vers
lequel les deux comédiens nous attirent. Leurs gestes répétitifs
deviennent hypnotiques, tandis que le récit de la
voix off, qu’elle soit Amedeo ou Fabrizio, berce l’auditeur par
son accumulation de faits du quotidien, sans liens apparents entre eux
et sans aucune recherche de sens.
Dès lors, le spectateur est conduit à entreprendre sa propre
réflexion sur le sens de la vie, sur la répétition des gestes, des
repas, des visites ou des ruptures. Chacun vit l’expérience de
ces évènements, laissé à lui-même dans le minimalisme apparent de
l’existence.
Par sa radicalité, le spectacle surprend constamment et nous tient
curieusement en haleine avec ses comédiens muets, sa bande enregistrée
omniprésente ou l’apparente banalité de ce qui nous est
donné à voir et à entendre. On pense à l’incrédulité des premiers
auditeurs du Boléro ou des admirateurs de l’art conceptuel d’un Marcel Duchamp. Certains resteront sur le
carreau, d’autres seront fascinés. À vous de tenter l’expérience.
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