Comment résumer la
vie et l’œuvre d’Oscar Wilde en seulement une heure dix ? Autour de ce
pari difficile à tenir tant la
matière est dense, Philippe Honoré et Philippe Person osent une
adaptation décalée et humoristique, aussi laconique que percutante.
Oscar Wilde en a dérouté plus d’un. Génial esprit provocateur et
corrosif à la repartie ravageuse, il n’a eu de cesse de dénoncer les
hypocrisies de la haute société victorienne,
particulièrement dans son unique roman, le Portrait de Dorian Gray
(1891), ou dans ses différentes pièces de théâtre. Se jouant du succès
comme des scandales, l’écrivain a
bâti une œuvre aujourd’hui quelque peu éclipsée par le mythe d’une
vie brisée, éteinte à seulement quarante-six ans. Criblé de dettes,
cerné par ses ennemis et abandonné par son amant, sa
vie s’est consumée rapidement après deux ans de travaux forcés et
un exil douloureux en France, sanctionné par un enterrement anonyme dans
un cimetière de banlieue parisienne.
À partir de ce riche matériau, Philippe Honoré, ancien directeur
de théâtre et aujourd’hui libraire, choisit de mettre en avant aussi
bien l’œuvre que la vie tumultueuse de Wilde.
L’écrivain n’avait-il pas affirmé mettre tout son génie dans sa
vie et seulement du talent dans son œuvre ? Rythmé en une douzaine de
courts tableaux indépendants, fidèles à la chronologie
de l’histoire, le texte d’Honoré suggère plus qu’il n’apporte de
réponse, s’appuyant essentiellement sur le verbatim
d’Oscar Wilde. Le début de la pièce fait ainsi la part belle
au brillant des nombreux aphorismes, symbole des heures glorieuses
et insouciantes de l’écrivain, ou à de rapides extraits des pièces
restées célèbres telle l’Importance d’être
constant.
Un savoureux bric-à-brac
Le « savoureux bric-à-brac » ainsi réuni par Honoré bénéficie
surtout d’une mise en scène délurée et audacieuse de son compère
Philippe Person, directeur du Lucernaire.
Depuis plus de vingt ans, les deux hommes travaillent ensemble,
s’intéressant aux figures littéraires bien connues de Proust,
Shakespeare ou Hugo. Accompagnés de comédiens tout aussi
fidèles, leur spectacle surprend par le sérieux du propos allié à
une mise en scène décalée, qui prend constamment le spectateur par
surprise.
Les trois comédiens, excellents, interprètent tous les rôles avec
une complicité jubilatoire, particulièrement Wilde dans un chœur à
trois voix alternées. Le marivaudage comique se
marie subtilement à l’émotion, comme dans l’extrait de la scène
finale de Salomé, qu’Anne Priol saisit avec une troublante
intensité après avoir été interrompue à de multiples
reprises par ses deux imprévisibles acolytes. Mais la folie du
regard de Salomé laisse vite la place à un nouveau tableau, dans un élan
toujours aussi haletant et fiévreux.
Emmanuel Barrouyer et Pascal Thoreau ne sont pas en reste,
particulièrement dans la scène des différentes lettres écrites par Wilde
à son amant. Le comédien qui tend les missives
s’éloigne peu à peu jusqu’à disparaître, symbolisant ainsi
l’éloignement progressif et inéluctable des deux amants.
Si on peut regretter le poids quelque peu excessif accordé à la
lecture des aphorismes, la pièce emporte l’adhésion grâce à des acteurs
impeccables et une mise en scène très enlevée. Au final,
ce spectacle constitue une bonne entrée en matière dans l’univers
de Wilde pour le novice, et un bel hommage à la diversité et à
l’ambivalence du personnage pour les amateurs de l’un des plus
brillants esprits de son temps.
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