vendredi 9 décembre 2011

« La Campagne » de Martin Crimp - Théâtre de La Forge à Nanterre - 07/12/2011

La compagnie Patrick-Schmitt, basée depuis plus de vingt ans dans le charmant centre-ville de Nanterre, ose le pari de présenter l’une des pièces du dramaturge contemporain Martin Crimp, encore peu connu en France. Une brillante réussite.
Larissa Cholomova
Une maison à la campagne. Un couple se questionne. Leur quotidien a été mis à l’épreuve par le mari qui vient de ramener une étrangère, déjà endormie dans une chambre. L’épouse traîne ses savates. Ses charentaises et son vieux pull traduisent un laisser-aller, une lassitude, qui interroge. Soudain, elle réclame des explications sur un ton devenu agressif. Qui est cette Rebecca ? Pourquoi a-t-elle été accueillie ici, alors que les enfants dorment paisiblement à côté ? Maladroitement, le mari hésite, se contredit. Il peine à rassurer sa femme, lui refuse toute affection. Que cache cet homme en apparence si banal sous ses habits de médecin de campagne ?

Choisir de raconter l’histoire d’une pièce de Martin Crimp, dramaturge britannique plusieurs fois traduit par Philippe Djian dès le début des années 2000, c’est déjà le trahir. Tout le prix du plaisir ressenti à la découverte de son œuvre est en effet constitué par cette langue, faite de phrases interrompues, de répétitions en tout genre, de réponses à des questions non posées, ou inversement de questions qui restent sans réponses, à grand renfort d’onomatopés et d’interjections.

Une attention de tous les instants

Autour de l’accumulation de banalités et de faits du quotidien émergent des bribes d’informations essentielles à la compréhension du récit, dévoilant progressivement un véritable polar en huis clos. Cette manière de conter une histoire, qui fait souvent penser à son contemporain norvégien Jon Fosse, invite le spectateur à une attention de tous les instants.

Patrick Schmitt, directeur de la compagnie éponyme en résidence au Théâtre de la Forge, interprète ce mari aux intentions troubles avec un beau timbre grave et posé, imposant un jeu sobre et sans affectation, qui renforce la concentration sur le texte et la compréhension des mobiles des uns et des autres. En face, l’épouse composée par Emmanuelle Meyssignac est saisissante de subtilité, avec ce rôle qui lui permet de paraître tour à tour nerveuse et inquiète, puis libérée et épanouie. La confrontation avec sa rivale Rebecca apporte une intensité électrique à laquelle Larissa Cholomova n’est pas non plus étrangère. La jeune comédienne d’origine russe, à la diction impeccable, fascine en effet par sa sensualité vénéneuse et son caractère revêche. Une belle révélation.
Autour de ce trio parfait de justesse, la mise en scène épurée de Patrick Schmitt épouse le jeu des comédiens. Aucun artifice inutile ou effet de manches. La scène et les murs sont nus, seulement jonchés de deux chaises, un fauteuil et une table, tandis que les éclairages accompagnent les protagonistes au gré de leur évolution psychologique. Dans ce théâtre tout entier à la disposition du texte et de ses interprètes, la compagnie Patrick-Schmitt nous offre un spectacle d’une rare intensité, magnifique huis clos au parfum capiteux. 

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