La compagnie Patrick-Schmitt, basée depuis plus de vingt ans dans le charmant centre-ville de Nanterre, ose le pari de
présenter l’une des pièces du dramaturge contemporain Martin Crimp, encore peu connu en France. Une brillante réussite.
Larissa Cholomova |
Une maison à la campagne. Un couple se questionne. Leur quotidien a
été mis à l’épreuve par le mari qui vient de ramener une étrangère,
déjà endormie dans une chambre. L’épouse traîne ses
savates. Ses charentaises et son vieux pull traduisent un
laisser-aller, une lassitude, qui interroge. Soudain, elle réclame des
explications sur un ton devenu agressif. Qui est cette
Rebecca ? Pourquoi a-t-elle été accueillie ici, alors que les
enfants dorment paisiblement à côté ? Maladroitement, le mari hésite, se
contredit. Il peine à rassurer sa femme, lui
refuse toute affection. Que cache cet homme en apparence si banal
sous ses habits de médecin de campagne ?
Choisir de raconter l’histoire d’une pièce de Martin Crimp,
dramaturge britannique plusieurs fois traduit par Philippe Djian dès le
début des années 2000, c’est déjà le trahir.
Tout le prix du plaisir ressenti à la découverte de son œuvre est
en effet constitué par cette langue, faite de phrases interrompues, de
répétitions en tout genre, de réponses à des questions
non posées, ou inversement de questions qui restent sans réponses,
à grand renfort d’onomatopés et d’interjections.
Une attention de tous les instants
Autour de l’accumulation de banalités et de faits du quotidien
émergent des bribes d’informations essentielles à la compréhension du
récit, dévoilant progressivement un véritable polar en huis
clos. Cette manière de conter une histoire, qui fait souvent
penser à son contemporain norvégien Jon Fosse, invite le spectateur à
une attention de tous les instants.
Patrick Schmitt, directeur de la compagnie éponyme en résidence au
Théâtre de la Forge, interprète ce mari aux intentions troubles avec un
beau timbre grave et posé,
imposant un jeu sobre et sans affectation, qui renforce la
concentration sur le texte et la compréhension des mobiles des uns et
des autres. En face, l’épouse composée par
Emmanuelle Meyssignac est saisissante de subtilité, avec ce rôle
qui lui permet de paraître tour à tour nerveuse et inquiète, puis
libérée et épanouie. La confrontation avec sa rivale
Rebecca apporte une intensité électrique à laquelle
Larissa Cholomova n’est pas non plus étrangère. La jeune comédienne
d’origine russe, à la diction impeccable, fascine en effet par sa
sensualité vénéneuse et son caractère revêche. Une belle
révélation.
Autour de ce trio parfait de justesse, la mise en scène épurée de
Patrick Schmitt épouse le jeu des comédiens. Aucun artifice inutile ou
effet de manches. La scène et les murs sont nus,
seulement jonchés de deux chaises, un fauteuil et une table,
tandis que les éclairages accompagnent les protagonistes au gré de leur
évolution psychologique. Dans ce théâtre tout
entier à la disposition du texte et de ses interprètes, la
compagnie Patrick-Schmitt nous offre un spectacle d’une rare intensité,
magnifique huis clos au parfum
capiteux.
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