L’Opéra de Lyon
propose en ce début d’année un festival lyrique autour de courtes œuvres
de Giacomo Puccini couplées avec celles de ses
contemporains allemands. De rares chefs-d’œuvre à découvrir de
toute urgence.
Lyon, ville bourgeoise ? Pour dynamiter ce cliché, rien de tel
qu’un tour à l’Opéra, dont la politique de démocratisation menée par son
directeur, Serge Dorny, bat son plein depuis
2003. Du site internet à la brochure annuelle, toute la
communication fait œuvre de pédagogie, rappelant l’accessibilité des
prix ou la variété des publics, sans pour autant mettre de côté
l’audace de la programmation.
Et pour ce faire, Serge Dorny a eu l’idée de présenter une œuvre relativement méconnue de Giacomo Puccini, le Triptyque, un cycle de trois opéras
(il Tabaro, Suor Angelica et Gianni Schicchi)
en un acte conçus en 1918 pour être représentés ensemble, mais souvent
donnés indépendamment avec
une autre œuvre courte. Le festival Puccini plus permet justement
de confronter ces deux solutions, avec la réunion opportune d’opéras
allemands contemporains encore plus rares,
composés par Arnold Schönberg, Paul Hindemith et
Alexander von Zemlinsky. La réussite éclatante des deux dernières
soirées nous fait regretter de n’avoir pu assister au
premier couplage (il Tabaro et Von heute auf morgen de Schönberg).
Le désir refoulé des religieuses
La deuxième soirée propose la confrontation originale de drames
exclusivement chantés par des femmes, dans le huis clos vénéneux de
l’institution religieuse. Avec Sancta Susanna,
énorme scandale à sa création en 1922, Hindemith décrit les
égarements de deux nonnes (magnifique Susanna d’Agnes Selma Weiland)
perturbées par l’évocation d’une religieuse
emmurée vivante pour avoir osé caresser l’effigie du Christ. Dans
une ambiance sombre et mystérieuse, la mise en scène volontiers
spectaculaire de John Fulljames sert parfaitement la
musique expressionniste du compositeur allemand.
Avec Suor Angelica, la musique de Puccini se fait plus
légère, comme diaphane, autour du récit de l’enfermement de la jeune
Sœur Angélique au couvent. La représentation du
cloître est étagée de manière réaliste, avec des cases où
chuchotent malicieusement les religieuses, malheureusement desservies
par un éclairage criard, qui se reflète sur la surface des
carreaux biseautés de type métro parisien. On regrette aussi les
derniers instants de l’opéra où la mise en scène de David Pountney
n’apporte pas grand-chose à la révélation mystique
d’Angélique (impeccable Csilla Boross). Sommet de l’opéra, la
scène de la Tante princesse est heureusement sublimée par le chant
altier et implacable de l’expérimentée
Natascha Petrinsky.
De Wilde à Dante
La dernière soirée se révèle plus réussie avec Une tragédie florentine,
drame en huis clos d’Oscar Wilde, qui permet à Zemlinsky de composer
l’un de
ces chefs-d’œuvre les plus aboutis. Autour de l’habituel triangle
amoureux, la musique ensorcelante du professeur de Schönberg rappelle
celle de son contemporain Richard Strauss par la
richesse de son orchestration. Dans le rôle du mari trompé, le
baryton Martin Winkler impose sa voix puissante face à deux partenaires
réduits au rôle de faire-valoir. Mais c’est surtout
la mise en scène de Georges Lavaudant qui impose une tension de
tous les instants, avec ses décors cubistes et ses ombres surréalistes
en forme d’arabesques inquiétantes tissées sur les
immenses murs.
Après la révélation de cette superbe production, le Gianni Schicchi de Puccini est du même niveau, grâce à l’homogénéité parfaite de sa troupe de chanteurs tout entière
acquise à la farce irrésistible du maître de Lucques. Pièce maîtresse du Triptyque, l’unique opéra bouffe de Puccini se base sur un épisode de la Divine Comédie
de Dante qui décrit comment une famille entière se fait rouler par l’escroc Gianni Schicchi (drôlissime
Werner Van Mechelen, malheureusement un peu court de voix). Outre
la magnifique Zita de Natascha Petrinsky, on retiendra le chant
olympien de la Lauretta d’Ivana Rusko, grande satisfaction du festival.
Avec l’intelligente mise en scène de
David Pountney, qui multiplie les références décalées (des
coffres-forts géants en guise de décor, une immense carte postale pour
représenter la ville de Florence, ou un rideau rouge qui
évoque la comédie italienne), la direction sautillante de
Gaetano D’Espinosa conclut une soirée vivement applaudie par le public
lyonnais.
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