Chaque mois de juin,
les mélomanes avertis rejoignent l’ancienne nécropole royale pour
assister au Festival de Saint-Denis. Dans l’éclat de ce
site majestueux, un superbe quatuor vocal illumine la rare et
enthousiasmante « Petite messe solennelle » de Rossini.
Pilier incontournable des manifestations musicales en
Île-de-France, le Festival de Saint-Denis offre depuis
quarante‑trois ans une programmation éclectique, de la musique
religieuse
aux brillantes symphonies, en passant par les concerts de musique
de chambre et le festival Métis concomitant. Nous avions, voilà
deux ans, assisté à un programme particulièrement
original (1) dans l’écrin de la basilique royale, mêlant musiques
actuelles et répertoire classique. Cette année encore, la programmation a
choisi l’audace avec l’excellent trompettiste
libanais Ibrahim Maalouf revisitant des chants
du xiie siècle ou l’heureuse redécouverte d’un oratorio du compositeur totalement méconnu Michelangelo Falvetti.
Autre surprise avec le choix d’une œuvre religieuse de
Gioachino Rossini (1792-1868), bien connu pour ses nombreux opéras (2),
mais peu pour son Stabat Mater (1841) ou
sa Petite messe solennelle (1864). Deux œuvres offertes sur le tard alors que le « Cygne de Pesaro » a officiellement annoncé un surprenant retrait de la
composition à l’âge de 37 ans, se consacrant à une exubérante vie mondaine à Paris. Avec la Petite messe solennelle,
Rossini s’éloigne de son style habituel, ébouriffant
et virtuose, principalement dédié à la veine comique. Le grand
maître italien choisit sans doute là d’assurer sa présence au paradis,
sans perdre pour autant son humour – le titre de
l’œuvre prêtant à sourire s’agissant d’une partition d’une durée
de près de deux heures.
Un maelström de couleurs
Partition déroutante à plus d’un titre, la version avec orchestre
alterne passages grandioses et intimistes, jamais avare d’effets
saisissants tels ces superbes pianissimos après l’emphase
initiale des cuivres. Rossini sait convoquer un maelström de
couleurs finement différenciées qui s’appuient sur le chœur et les
quatre solistes, mais aussi sur la présence inédite de
deux harpes ou le long passage solo de l’harmonium. Le chef
d’orchestre Ottavio Dantone, spécialiste du répertoire baroque, opte
pour des tempi vifs parfaitement tenus par
l’Orchestre de chambre de Paris et le superbe quatuor vocal ici réuni, et ce malgré deux défections de dernière minute.
Déjà présent voilà quelques jours dans le Stabat Mater
de Dvořák donné dans cette même basilique, la basse Alexander Vinogradov
fait l’étalage d’un timbre opulent,
magnifié par une belle présence et une superbe projection. Autre
recrue de dernière minute, l’alto Delphine Galou dont on a pu apprécier
le sens du phrasé et la profondeur de son
inspiration, notamment dans l’émouvante conclusion de l’œuvre.
Petite voix, elle se laisse cependant parfois trop couvrir par ses
différents collègues. Un problème que ne rencontre pas le chant
éclatant de Julia Lezhneva. Grande technicienne, la soprano se
joue aisément de toutes les difficultés pour imposer un timbre superbe,
que l’on aimerait cependant un rien plus engagé
dramatiquement.
Michael Spyres, façon baba cool
Aucun souci de ce côté pour le ténor Michael Spyres (3), qui
« vit » la partition dès l’introduction orchestrale, sourire collé au
visage, chantant constamment à demi-voix
les parties confiées au chœur. Son aspect improbable, sorte de
baba cool à la barbe longue et aux cheveux mi-longs à bouclettes, ne
l’empêche pas de faire l’étalage de toute sa classe vocale, y
compris dans un rôle moins lourd que ses partenaires. Aux côtés du
toujours impeccable chœur Accentus,
déjà applaudi récemment
au Festival de l’Épau, c’est bien son visage qui restera dans nos
mémoires. Celui de l’amoureux sincère d’une partition à réévaluer
d’urgence.