lundi 16 juin 2014

« Platée » de Jean-Philippe Rameau - Opéra du Rhin - 13/06/2014

La reprise de la délirante production de « Platée » à l’Opéra du Rhin est un évènement majeur de la saison musicale. La transposition dans l’univers décalé des années 1950 offre un spectacle réjouissant, parfaitement adapté pour le plus jeune public.

Photo Alain Kaiser
On l’entend de loin en s’approchant des marches de l’Opéra. Une chorale de femmes et d’hommes, récitant alternativement un texte qui n’est pas du chant, interpelle les passants. Rien à voir avec la représentation que l’on s’apprête à voir, si ce n’est une chose : ce sont eux aussi des intermittents du spectacle, en colère contre les nouvelles règles plus sélectives et restrictives du nouveau régime d’assurance chômage négocié en début d’année. Eux aussi, car deux de leurs représentants invités sur la scène de l’Opéra rappellent opportunément, micro en main, la liste des nombreux métiers qui contribuent à la bonne organisation d’un opéra. Dans l’orchestre, des mains se lèvent pour signifier leur appartenance à ce statut qu’ils ont eux aussi à cœur de défendre. Pour continuer à faire vivre un vaste répertoire musical dans toute sa richesse, pour rendre hommage à des compositeurs longtemps délaissés. Rameau est de ceux-là.
On fête en effet cette année le 250e anniversaire de la mort de Jean‑Philippe Rameau (1683-1764), compositeur officiel emblématique du règne de Louis XV comme le fut avant lui son illustre prédécesseur Lully, sous Louis XIV. Célébrés en leur temps, tous deux ont en commun d’avoir défendu une même esthétique en matière d’opéra, fondée notamment sur la primauté de la déclamation du texte et la présence abondante des ballets. Une véritable particularité française quand l’art lyrique italien triomphait au même moment partout ailleurs en Europe, avant de s’imposer quelques années plus tard en France avec Gluck. Jugés surannés et ennuyeux, les nombreux opéras de Lully et Rameau subissent dès lors une longue éclipse sur les scènes lyriques, heureusement interrompue ces cinquante dernières années par l’émergence de la musique baroque jouée sur instruments d’époque.

Une grenouille amoureuse et nymphomane

Claveciniste de renom, Christophe Rousset a créé en 1991 Les Talens lyriques, l’un de ces ensembles sur instruments d’époque qui défendent régulièrement ce répertoire délaissé en dehors de l’Hexagone *. On retrouve le sens particulier de la rythmique cher à Rousset, mais aussi une vision chambriste (les cordes sont réduites) qui offre une belle clarté dans les différentes oppositions entre les pupitres. Déjà présent en 2009 lors de la création de la production de Platée à l’Opéra national du Rhin, Rousset a heureusement réussi à convaincre Emiliano Gonzalez Toro, spécialiste du rôle-titre et plus largement du répertoire baroque, de reprendre les habits de cette grenouille amoureuse et nymphomane. Si l’on a souvent reproché, à juste titre, la minceur des livrets des opéras de Rameau, celui de Platée tient la route.

Pour confondre la jalousie de Junon, les dieux décident de lui faire croire que jupiter s’apprête à épouser Platée, nymphe des marais aussi laide que crédule. Lorsque le voile de la mariée est révélé par Junon, la farce s’achève pour Platée dans les rires cruels de l’assistance. La mise en scène malicieuse et inventive de Mariame Clément décide d’évacuer toutes les références historiques et mythologiques pour une heureuse transposition dans les années 1950, prétexte à une pertinente et drôlissime critique de la société de consommation. L’humour est la pièce maîtresse de ce spectacle savoureux, Clément n’hésitant pas à convoquer les références décalées autour de cette mythique période des Trente Glorieuses. Du mélodrame d’Autant en emporte le vent aux westerns caricaturaux, en passant par le fast-food façon teen movie à l’américaine ou les réunions Tupperware pour des épouses ébahies et ravies, l’imagination de cette production luxueuse surprend constamment.

Des chorégraphies désopilantes

Incontestable réussite visuelle, cette transposition opère à merveille, n’hésitant pas à ajouter au livret de fréquents clins d’œil avec le mime pour les chanteurs ou les multiples interventions des danseurs. Le ballet de l’Opéra national du Rhin est en effet l’autre atout majeur de cette production, toujours percutant grâce aux chorégraphies désopilantes de Joshua Monten. En choisissant de maintenir la plupart des nombreuses musiques de ballet, cette production se montre ainsi parfaitement respectueuse de l’œuvre originale, sans provoquer l’ennui redouté par les redondances de la déclamation à la Lully. Il faut dire que la performance des chanteurs, d’un beau niveau homogène, permet la pleine réussite de la soirée. Qualité de diction, engagement, sens de la scène, les qualificatifs ne manquent pas. La formidable ovation finale pour toute la troupe récompense ce beau travail collectif, parfaitement adapté pour le plus jeune public, que l’on peut ainsi voir et revoir en famille. N’hésitez pas ! 


* Rousset s’illustre également avec bonheur dans le répertoire de la fin du xviiie siècle. Voir notamment les Danaïdes de Salieri.

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