La reprise de la
délirante production de « Platée » à l’Opéra du Rhin est un évènement
majeur de la saison musicale. La
transposition dans l’univers décalé des années 1950 offre un
spectacle réjouissant, parfaitement adapté pour le plus jeune public.
Photo Alain Kaiser |
On fête en effet cette année le 250e anniversaire de la mort de
Jean‑Philippe Rameau (1683-1764), compositeur officiel emblématique du
règne de Louis XV comme le fut avant lui
son illustre prédécesseur Lully, sous Louis XIV. Célébrés en leur
temps, tous deux ont en commun d’avoir défendu une même esthétique en
matière d’opéra, fondée notamment sur la primauté de
la déclamation du texte et la présence abondante des ballets. Une
véritable particularité française quand l’art lyrique italien triomphait
au même moment partout ailleurs en Europe, avant de
s’imposer quelques années plus tard en France avec Gluck. Jugés
surannés et ennuyeux, les nombreux opéras de Lully et Rameau subissent
dès lors une longue éclipse sur les scènes lyriques,
heureusement interrompue ces cinquante dernières années par
l’émergence de la musique baroque jouée sur instruments d’époque.
Une grenouille amoureuse et nymphomane
Claveciniste de renom, Christophe Rousset a créé en 1991
Les Talens lyriques, l’un de ces ensembles sur instruments d’époque qui
défendent régulièrement ce répertoire délaissé en
dehors de l’Hexagone *. On retrouve le sens particulier de la
rythmique cher à Rousset, mais aussi une vision chambriste (les cordes
sont réduites) qui offre une belle clarté dans les
différentes oppositions entre les pupitres. Déjà présent en 2009
lors de la création de la production de Platée à
l’Opéra national du Rhin, Rousset a heureusement réussi à
convaincre Emiliano Gonzalez Toro, spécialiste du rôle-titre et
plus largement du répertoire baroque, de reprendre les habits de cette
grenouille amoureuse et nymphomane. Si l’on a
souvent reproché, à juste titre, la minceur des livrets des opéras
de Rameau, celui de Platée tient la route.
Pour confondre la jalousie de Junon, les dieux décident de lui
faire croire que jupiter s’apprête à épouser Platée, nymphe des marais
aussi laide que crédule. Lorsque le voile de la mariée est
révélé par Junon, la farce s’achève pour Platée dans les rires
cruels de l’assistance. La mise en scène malicieuse et inventive de
Mariame Clément décide d’évacuer toutes les références
historiques et mythologiques pour une heureuse transposition dans
les années 1950, prétexte à une pertinente et drôlissime critique de la
société de consommation. L’humour est la pièce
maîtresse de ce spectacle savoureux, Clément n’hésitant pas à
convoquer les références décalées autour de cette mythique période des
Trente Glorieuses. Du mélodrame
d’Autant en emporte le vent aux westerns caricaturaux, en passant par le fast-food façon teen movie à l’américaine ou les réunions Tupperware pour des
épouses ébahies et ravies, l’imagination de cette production luxueuse surprend constamment.
Des chorégraphies désopilantes
Incontestable réussite visuelle, cette transposition opère à
merveille, n’hésitant pas à ajouter au livret de fréquents clins d’œil
avec le mime pour les chanteurs ou les multiples
interventions des danseurs. Le ballet de l’Opéra national du Rhin
est en effet l’autre atout majeur de cette production, toujours
percutant grâce aux chorégraphies désopilantes de
Joshua Monten. En choisissant de maintenir la plupart des
nombreuses musiques de ballet, cette production se montre ainsi
parfaitement respectueuse de l’œuvre originale, sans provoquer
l’ennui redouté par les redondances de la déclamation à la Lully.
Il faut dire que la performance des chanteurs, d’un beau niveau
homogène, permet la pleine réussite de la soirée. Qualité
de diction, engagement, sens de la scène, les qualificatifs ne
manquent pas. La formidable ovation finale pour toute la troupe
récompense ce beau travail collectif, parfaitement adapté pour le
plus jeune public, que l’on peut ainsi voir et revoir en famille.
N’hésitez pas !
* Rousset s’illustre également avec bonheur dans le répertoire de la fin du xviiie siècle. Voir notamment les Danaïdes de Salieri.
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