À l’Opéra de Lyon, la nouvelle production de « Simon Boccanegra » de Verdi séduira les tenants d’un drame uniformément noir. Une
mise en scène radicale, heureusement servie par un plateau vocal d’exception et un jeune maestro à la fougue contagieuse.
On parle bien volontiers des symphonies que le compositeur
Anton Bruckner révisa à maintes reprises au cours de sa carrière,
toujours insatisfait de la réception critique particulièrement
virulente à son endroit. On oublie trop souvent que son
contemporain (1) Giuseppe Verdi (1813-1901) remit lui aussi sur le
métier de nombreux ouvrages, tel
Simon Boccanegra. Initialement créée en 1857, l’œuvre fut
un échec, imputable à un livret bavard, truffé de références
historiques et de péripéties politiques plus ou moins
digestes. La musique, d’un haut niveau d’inspiration, devait-elle
pour autant rester dans la poussière des partitions oubliées ? C’est
sans doute ce qui permit de convaincre Verdi de
retravailler son œuvre, sortant ainsi d’un silence créatif de
dix ans depuis le triomphe d’Aïda en 1871.
Œuvre méconnue par le grand public, Simon Boccanegra fait pourtant le délice des connaisseurs ravis d’entendre ce diamant noir de la maturité, du niveau musical des deux
derniers chefs-d’œuvre, Otello et Falstaff.
Si le livret a été amélioré, il comporte encore quelques faiblesses, se
révélant assez touffu. Sur fond d’intrigue politique, le corsaire
Simon Boccanegra accepte la charge de Doge pour forcer son ennemi Fresco
à lui donner la main de sa fille, à qui il a déjà
fait un enfant, Maria. Celle-ci est enlevée à sa naissance,
ignorant tout de ses origines, tandis que la découverte de son identité
vient consoler Simon de la terrible nouvelle de la mort de la
mère de Maria. Parallèlement, l’amour de l’opposant
Gabriele Adorno pour Maria vient compliquer la réconciliation entre des
camps irréductiblement brouillés.
Un parti pris radical de noirceur
Cette romance entre les deux tourtereaux, aux conséquences
dramatiques, constitue l’un des rares moments de l’opéra où la musique
se fait légère et aérienne. Au-delà, les couleurs sombres
du drame impressionnent tout le long. Hormis les deux amoureux,
Verdi confie les principaux rôles à des personnages masculins à la
tessiture uniformément grave, du baryton à la basse.
Autour de cette histoire politique agitée et de ces teintes
vocales ténébreuses, la mise en scène de David Bösch renforce la dureté
de l’œuvre en proposant une scénographie aux couleurs
d’un gris noir glacial. Ce parti pris sans concession pendant
toute la représentation se fonde sur la transposition du récit dans une
société contemporaine décadente (2), illustrée par une
immense structure métallique amovible, assez laide, qui se déploie
au gré de l’action. Un décor heureusement magnifié par des éclairages
particulièrement variés et virtuoses, même si les
incrustations vidéo n’apportent pas grand-chose à la compréhension
de l’œuvre. Pourquoi recourir à des anglicismes pour finalement revenir
à l’italien ?
Cette mise en scène nerveuse, en forme de huis clos, agace autant
qu’elle séduit, alternant des moments de grâce fulgurants (les finals
particulièrement réussis) avec des banalités affligeantes
(un cœur kitsch au-dessus des amoureux, des paillettes pour
célébrer leur union…). On retrouvera le jeune metteur en scène allemand
l’an prochain sur la scène de l’Opéra de Lyon, dans la
nouvelle production attendue des Stigmatisés de
Franz Schreker. Autre signe de jeunesse dans la fosse avec la découverte
du phénomène Daniele Rustioni, spécialiste du
répertoire italien, déjà accueilli par les plus grandes scènes
européennes. Et quelle claque ! Une direction inventive et
bouillonnante, d’une étonnante lisibilité en matière de
superposition des différents pupitres, et toujours attentive à
préserver l’équilibre avec le plateau.
Côté voix, justement, le jeune couple amoureux obtient une ovation
amplement méritée. Malgré un très léger vibrato, Ermonela Jaho (Amelia)
fait l’étalage d’une belle technique vocale,
réellement étourdissante dans ses pianissimi de rêve.
Pavel Cernoch (Gabriele Adorno) n’est pas en reste avec sa voix claire
parfaitement projetée, idéal de fougue juvénile. Autre
grande satisfaction avec le Simon Boccanegra d’Andrzej Dobber, à
la présence impressionnante. Sens de la diction, de la respiration, les
qualités ne manquent pas. On pourra évidemment
noter une certaine usure de la voix au fil de la représentation,
dans la tessiture aiguë surtout, mais n’est-ce pas là en phase avec le
rôle ? À ses côtés, on retient les superbes graves
de Riccardo Zanellato (Jacopo Fresco) ou la belle composition du
traître Paolo Albiani par un Ashley Holland très à l’aise. Aucune faute,
donc, pour ce casting qui frise la
perfection.
(1) Deux compositeurs symboliquement opposés en 1954 par Luchino Visconti dans l’un de ses films les plus célèbres, Senso.
(2) Façon Regietheater à l’allemande. Voir aussi la mise en scène des Stigmatisés de Franz Schreker, à Cologne l’an passé.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire