La reprise de l’opéra pour enfants « Jérémy Fisher » est un enchantement de tous les instants. Acceptation de la différence et
évocation du monde marin ravissent petits et grands pendant une heure qui file à toute allure.
On doit à la compositrice française Isabelle Aboulker l’intérêt porté pour Jérémy Fisher,
une pièce de Mohamed Rouabhi éditée pour la jeunesse en
2002. Et seulement cinq ans plus tard, une transposition en opéra
pour enfants reprise un peu partout en Rhône-Alpes, avant de partir en
tournée en Bretagne et même jusqu’au Portugal (avec
des interprètes locaux) ! À la lecture de la pièce, il fallait une
certaine audace pour imaginer la réussite d’un tel projet, tant le
propos sérieux et la teinte sombre de l’œuvre nous
éloignent des habituels canons de la comédie musicale où « tout
est bien qui finit bien ». L’histoire prend place dans le monde marin, à
l’instar de
la Chevauchée de la mer (Riders to the Sea) de Vaughan Williams, un autre opéra court qui introduit d’emblée une
tension extrême avec l’inquiétude des femmes de marins disparus en mer.
Ici, marin pêcheur lui-même, le père de Jérémy annonce à sa femme
l’étrange disparition d’un mousse happé par une immense vague
vengeresse, après avoir tué un cachalot. Le tragique fait
rapidement place à l’heureuse nouvelle de la naissance prochaine
de Jérémy, déjà dans le ventre accueillant de sa mère. Le bébé naît avec
des mains palmées, accueilli par des parents ébahis
mais respectueux de sa différence, pour finalement accepter le
moment venu de le laisser devenir ce qu’il est, comme une évidence
sereine, en accomplissant sa destinée. L’une des grandes forces
de l’ouvrage est de placer le petit garçon comme un narrateur de
ses propres aventures, avec des mots simples et toujours justes.
Isabelle Aboulker se saisit de cette idée en confiant à un
chœur d’enfants ces pensées lumineuses et attachantes, autour d’un
kaléidoscope de courtes pièces musicales très variées, où se succèdent
parties chantées et jouées.
Isabelle Aboulker, spécialiste de la jeunesse
Il faut dire que la compositrice française creuse depuis plus de
trente ans le sillon d’une voie personnelle incarnée par ses nombreuses
compositions pour la jeunesse, que ce soit avec des
livres-disques pour les éditions Gallimard ou des opéras pour
enfants régulièrement montés sur scène. Autour d’un livret très
respectueux de l’œuvre de Mohamed Rouabhi, son travail
original permet une concentration immédiate dans la salle,
composée de nombreux jeunes. Un détail qui ne trompe pas. Il est vrai
que la mise en scène subtile de Michel Dieuaide *,
d’une infinie tendresse pour son héros, n’est pas pour rien dans
cette performance. En refusant de montrer la transformation physique du
garçon en poisson, tout artifice spectaculaire est ainsi
gommé pour éveiller l’imaginaire du spectateur, mais aussi
permettre l’écoute attentive d’un texte magnifié par un véritable
suspens, sans pathos.
À travers une multitude d’accessoires, entre coussins et petits
aquariums ronds, l’univers de l’enfance et le monde marin sont évoqués
poétiquement à partir d’une scénographie unique pendant
tout le spectacle. Dieuaide sait aussi réserver d’étonnants
passages décalés, comme l’arrivée du médecin en motard ou l’hilarante
composition du vendeur d’aquariums (impressionnant
Thomas Poulard dans ce rôle). Un passage pourtant peu drôle dans
l’œuvre originale. De même, le rêve des parents transformés en
agents X-File apporte une touche d’absurde bien rendue
par les comédiens-chanteurs. Si l’on retient la touchante
performance du jeune interprète de Jérémy Fisher, à la voix cristalline,
ses parents ne sont pas en reste, se montrant
particulièrement attentifs à la parfaite compréhension du texte
parlé ou chanté.
Aucune faiblesse au plan vocal dans ce casting entièrement
revisité cette année sur la belle scène de la Croix-Rousse. L’autre
grande satisfaction de la soirée est constituée par
l’incroyable cohésion de la maîtrise de l’Opéra de Lyon, qui n’est
pas pour rien dans la réussite de cette reprise. Assurément, un
spectacle qui mérite de tourner encore, pour le bonheur
des enfants petits et grands, ceux que l’auteur veut nous aider à
percevoir en chacun d’entre nous.
* Comédien et longtemps codirecteur du Théâtre des Jeunes-Années.
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