vendredi 23 octobre 2015

Concert de l'Orchestre national de France - Emmanuel Krivine - Auditorium de la Maison de la Radio - 22/10/2015

Louis Lortie

Parmi les concerts les plus intéressants cette saison, on n’aurait voulu manquer pour rien au monde ce programme original réunissant Berlioz, Chopin et Zemlinsky. Las, le public n’a guère suivi hier soir, encourageant l’intervention d’Emmanuel Krivine en fin de concert: «Vous avez l’air d’aimer cet orchestre. Il suffit que chacun ramène une personne et vous doublez le public!». Si Chopin devait servir de locomotive pour remplir la salle, force est de constater que la programmation de La Petite Sirène de Zemlinsky a pu décontenancer une partie du public. On entendait ainsi dans la foule, à l’issue de la soirée, des commentaires soulagés par l’accessibilité d’une œuvre finalement très appréciée. En effet, pour contemporain (et maître) de Schoenberg qu’il soit, Zemlinsky n’en est pas moins resté attaché à un langage postromantique tout au long de sa carrière, suivant la voie tracée par Mahler et Richard Strauss avant lui.


Composée en 1903, La Petite Sirène rappelle les poèmes symphoniques de Liszt par sa musique à programme, inspirée d’Andersen, tout en faisant appel à une orchestration beaucoup plus foisonnante et imposante. On se souvient, en début d’année, du beau disque porté par le geste généreux du finlandais John Storgårds. Place cette fois à Emmanuel Krivine et sa direction électrique qui embrase l’orchestre de ses prises de risque nombreuses. Le chef français joue avec les tempi, ralentissant dans les passages lents, admirablement apaisés, pour mieux surprendre dans les tutti enflammés qui surviennent tels d’irrésistibles vagues de pulsation rythmique. Krivine ne ménage pas ses efforts, fouillant les détails et faisant ressortir les bois narquois à maintes occasions. Si quelques baisses de tension apparaissent (dans la dernière partie surtout), l’Orchestre national de France suit comme il peut de son côté, montrant quelques approximations aux cordes et aux cuivres. Il est vrai que l’œuvre n’est pas souvent à son répertoire, mais peut-être une insuffisance de répétitions est-elle aussi en cause. Une version néanmoins satisfaisante pour son impétuosité assumée autant que pour son éclat orchestral.


La première partie du concert avait débuté par une belle version de «Chasse royale et Orage», extrait symphonique tiré de l’opéra Les Troyens – rarement donné en concert. Comme en sourdine, les cordes allègent les textures, démontrant une souplesse et une élasticité souvent bluffantes. Entre attaques musclées et respect des nuances, Krivine créé un bouillonnement réjouissant, concluant l’œuvre en une quiétude qui agit comme un baume apaisant. Le concert se poursuit curieusement avec une entame ratée des cordes dans le premier mouvement du Second Concerto de Chopin, avant que Krivine n’impose une ambiance chambriste où le piano règne en maître. Le jeu limpide de Louis Lortie déconcerte au début par son intériorité pudique, sans une once de fantaisie, avant de convaincre par son toucher aérien et agile, aussi imperturbable que subtil. A l’image d’un félin, il semble caresser son piano, évitant toute brutalité en une cadence néanmoins déterminée. Aussi bien l’allégement orchestral que les tempi étirés semblent suspendre le temps dans le beau Larghetto à l’atmosphère parfois irréelle – les interventions des vents en réponse au piano semblant venir de nulle part, tel un rêve évanescent et inaccessible.


En bis, Louis Lortie s’empare de l’Etude opus 10 n° 4 de Chopin en un vif tempo, se montrant aussi cinglant que péremptoire. Un style parfois un peu sec, mais toujours impressionnant de maîtrise et d’allant.

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