L'Oiseau de feu |
Depuis la nomination en 2015 du
chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui (né en 1976) à la tête du ballet royal
de Flandres, la programmation de cette compagnie s’est nettement tournée
vers le répertoire contemporain, et ce à l’instar du virage artistique
entamé en 1991 par son équivalent wallon, Charleroi Danses. Le tout
premier spectacle de ballet présenté cette saison choisit de mettre en
miroir trois oeuvres contemporaines de courte durée, dont une création
mondiale dévolue à Crystal Pite. On pourra être surpris du choix de
procéder à deux entractes, là où la durée totale des deux premières
œuvres avoisine les cinquante minutes, ce qui aurait pu permettre une
réunion opportune. Fallait-il, enfin, terminer par l’œuvre la plus
longue et malheureusement très inégale, The Heart of August ?
Quoiqu’il en soit, on retrouve en première partie le ballet L’Oiseau de feu de Stravinsky, créé par Cherkaoui
à Stuttgart en 2015 et présenté pour la première fois à Gand et Anvers,
alors que Paris a accueilli une version pour deux danseurs à la
fondation Louis Vuitton l’an passé (voir aussi son Boléro de Ravel
présenté à Garnier au printemps). On regrettera d’emblée le choix de Cherkaoui pour la suite réalisée par
Stravinsky en 1919, d’une vingtaine de minutes, là où le ballet
intégral de 1910 est deux fois plus étendu. Les chefs d’orchestre font
aussi souvent ce choix, faisant de la version longue une véritable
rareté. Pour autant, le charme et le talent du chorégraphe flamand opère
immédiatement, avec un mélange harmonieux de gestes contemporains et de
figures classiques, mâtinés de gestuelles d’influence orientales et de
nombreux portés. L’entrelacement virtuose des corps compose ainsi des
tableaux poétiques qui se succèdent en rivalisant d’élégance, sans
éprouver physiquement ses danseurs. Avec un soin particulier apporté aux
transitions, tout autant qu’une mise en scène fluide et efficace autour
de panneaux mouvants bougés à vue, Cherkaoui a la bonne idée de faire
respirer son spectacle, en introduisant un séquençage basé sur des
silences entre les morceaux, comme s’il suspendait le temps. Il faut
dire que la direction splendide de Philipp Pointner, à la tête d’un
superlatif Orchestre de l’Opéra des Flandres, n’est pas pour rien dans
la réussite de cet enchantement sonore et visuel, prenant le temps
d’étager, presque en sourdine, les raffinements d’un Stravinsky inspiré
tout autant par Moussorgski que par Rimski-Korsakov. On perçoit
également combien la délicatesse d’un Ravel sut certainement s’abreuver à
cette musique encore tournée vers le XIXème siècle, mais déjà
annonciatrice des deux chefs d’œuvre suivants, Petrouchka (1911) et,
dans une moindre mesure, Le Sacre du printemps (1913).
Ten Duets on a Theme of Rescue |
On reste sur les mêmes sommets de
raffinement poétique avec les Ten Duets on a Theme of Rescue de Cliff
Martinez (d’après la musique composée pour le film Solaris en 2002),
chorégraphiés par la Canadienne Crystal Pite (né en 1970). Autour de
douze spots de cinéma répartis en arc de cercle, l’éclairage en
contre-jour baigné de fumigènes nous transporte dans une atmosphère
étrange, presque fantastique, bien en rapport avec la bande son
enregistrée, aux longs aplats hypnotiques au synthétiseur, tous
entrecroisés à la manière de la musique minimaliste. Les cinq danseurs
forment et déforment des couples à l’envi, apportant davantage de
fluidité, de dynamisme et d’impact physique par rapport à L’Oiseau de
feu.
Après la pause, on découvre la dernière
œuvre au programme, The Heart of August de Gavin Bryars, sur une
chorégraphie d’Edouard Lock. Les gestes corporels se font plus saccadés,
plus maniérés aussi, en des rythmes nerveux assez dérangeants.
L’ensemble, assez inégal, déçoit surtout au niveau des éclairages
envahissants façon concert de rock, dont les transitions maladroites se
révèlent sans surprise, tandis que des panneaux descendent et remontent
sans raison apparente sur les côtés. En fond de scène, l’HERMESensemble
dirigé par Geert Callaert déçoit lui aussi à force d’approximations dans
les accélérations et les aigus à la limite de la justesse au
violoncelle, sans parler d’une cohésion qui n’évite pas certains
décalages. Le public ne semble pas tenir rigueur de ces quelques
imperfections en apportant, à l’instar des deux autres chorégraphies, un
accueil chaleureux. Peut-être est-ce dû là à la musique toujours
intéressante de Gavin Bryars qui se tourne tout autant vers Piazzolla
(la présence de l’accordéon renforçant ce parallèle) que la musique
minimaliste ? Quoiqu’il en soit, on conseillera vivement ce spectacle
pour les deux premières œuvres, d’une perfection technique et d’une
hauteur d’inspiration dignes de l’excellente réputation de l’Opéra des
Flandres.
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