Frieder Bernius |
Après avoir fêté l’an passé les cinquante ans du Chœur de chambre de
Stuttgart, son fondateur et toujours chef Frieder Bernius n’en finit
plus de nous étonner, tant son énergie communicative pour faire
découvrir des raretés absolues du répertoire reste intacte : on se
souvient bien sûr des premiers succès critiques obtenus en France pour
ses disques Zelenka (autant de références encore à ce jour) ou plus
récemment de son Apocalypse de Spohr (Must de ConcertoNet).
Pour autant, Bernius garde, depuis ses premiers LP gravés à la fin des
années 1970, une passion fidèle au répertoire de la seconde moitié du
XVIIIe siècle, qui ne se limite évidemment pas aux deux géants Haydn et
Mozart: ainsi d’Ignaz Holzbauer (1711-1783), dont la gravure de La Mort de Didon (Carus, 2018) a précédé celle du mélodrame Electra
de Christian Cannabich (1731-1798), à paraître chez le même éditeur
suite à l’enregistrement du présent concert. Ces deux ouvrages
contemporains de compositeurs emblématiques de l’école de Mannheim
avaient déjà été opportunément réunis au festival de Schwetzingen en
1999, à l’initiative de Bernius.
Si le chef allemand reste malheureusement trop rare en France, il faut dès lors rejoindre Stuttgart, en un peu plus de trois heures de train depuis Paris, pour entendre Bernius dans son fief: la petite salle de concert (environ 500 places) du conservatoire de la ville, dont l’architecture minimaliste évoque la Cité de la musique, n’a certes pas le charme de l’Opéra voisin – miraculeusement épargné par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, mais a pour elle une intimité et une proximité avec les artistes particulièrement appréciables. La jauge de la salle est ainsi parfaitement adaptée aux effectifs réduits de la Hofkapelle de Stuttgart: quinze cordes, un pianoforte et deux cors viennent accompagner le clarinettiste suisse Pierre-André Taillard, soliste de l’ensemble depuis trente ans, dans le Concerto pour clarinette en si bémol de Johann Stamitz donné en début de concert. D’emblée, on reconnaît le son aussi soyeux que précis de Bernius, sans vibrato, le tout en des tempi équilibrés. Même si on le sent parfois moins à l’aise dans les accélérations, Taillard se montre quant à lui solide dans l’ensemble, en privilégiant un son rond et harmonieux – tout particulièrement dans le mouvement lent, sommet de l’œuvre, qui inspirera Mozart à la fin de sa vie. On espère vivement que ce concerto sera intégré au disque prioritairement consacré à l’Electra de Cannabich: la qualité de l’œuvre, autant que la durée globale du concert (75 minutes), le justifient.
Après cette mise en bouche savoureuse, on comprend très vite pourquoi Bernius a souhaité confronter ce concerto avec le mélodrame de Cannabich, composé en 1780, un an avant l’Idomeneo de Mozart: l’Ouverture d’Electra constitue en effet une parfaite transition en mettant au centre la clarinette dans un rôle concertant, tout en faisant rugir les ressources de l’orchestre élargi (deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes, deux bassons et deux cors viennent s’ajouter à l’effectif précédent). Après une introduction lente superbe de dramatisme contenu, l’orchestre laisse éclater tous ses moyens en des couleurs sombres admirablement mises en valeur par Bernius: seules les deux flûtes restent muettes pendant tout ce déchaînement qui annonce les tourments d’Electre. Déjà, la récitante Isabelle Redfern apparaît sur scène, pieds nus et portant une longue robe noire fendue qui laisse découvrir le haut de sa cuisse. Ce choix est manifestement dû au dramaturge Bernd Schmitt, qui suggère ainsi un mélange d’animalité et de fragilité: la composition d’Isabelle Redfern donne à plusieurs reprises le frisson tant son investissement dramatique dépasse le texte – le disque et son livret permettront plus encore de saisir chaque sentiment de cette héroïne blessée. Autour d’elle, Schmitt a la bonne idée de surélever le chœur féminin, aux courtes interventions évanescentes, et de faire venir sur scène une urne funéraire glaçante pour l’héroïne, en une procession lente et majestueuse.
Si le chef allemand reste malheureusement trop rare en France, il faut dès lors rejoindre Stuttgart, en un peu plus de trois heures de train depuis Paris, pour entendre Bernius dans son fief: la petite salle de concert (environ 500 places) du conservatoire de la ville, dont l’architecture minimaliste évoque la Cité de la musique, n’a certes pas le charme de l’Opéra voisin – miraculeusement épargné par les bombardements de la Seconde Guerre mondiale, mais a pour elle une intimité et une proximité avec les artistes particulièrement appréciables. La jauge de la salle est ainsi parfaitement adaptée aux effectifs réduits de la Hofkapelle de Stuttgart: quinze cordes, un pianoforte et deux cors viennent accompagner le clarinettiste suisse Pierre-André Taillard, soliste de l’ensemble depuis trente ans, dans le Concerto pour clarinette en si bémol de Johann Stamitz donné en début de concert. D’emblée, on reconnaît le son aussi soyeux que précis de Bernius, sans vibrato, le tout en des tempi équilibrés. Même si on le sent parfois moins à l’aise dans les accélérations, Taillard se montre quant à lui solide dans l’ensemble, en privilégiant un son rond et harmonieux – tout particulièrement dans le mouvement lent, sommet de l’œuvre, qui inspirera Mozart à la fin de sa vie. On espère vivement que ce concerto sera intégré au disque prioritairement consacré à l’Electra de Cannabich: la qualité de l’œuvre, autant que la durée globale du concert (75 minutes), le justifient.
Après cette mise en bouche savoureuse, on comprend très vite pourquoi Bernius a souhaité confronter ce concerto avec le mélodrame de Cannabich, composé en 1780, un an avant l’Idomeneo de Mozart: l’Ouverture d’Electra constitue en effet une parfaite transition en mettant au centre la clarinette dans un rôle concertant, tout en faisant rugir les ressources de l’orchestre élargi (deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes, deux bassons et deux cors viennent s’ajouter à l’effectif précédent). Après une introduction lente superbe de dramatisme contenu, l’orchestre laisse éclater tous ses moyens en des couleurs sombres admirablement mises en valeur par Bernius: seules les deux flûtes restent muettes pendant tout ce déchaînement qui annonce les tourments d’Electre. Déjà, la récitante Isabelle Redfern apparaît sur scène, pieds nus et portant une longue robe noire fendue qui laisse découvrir le haut de sa cuisse. Ce choix est manifestement dû au dramaturge Bernd Schmitt, qui suggère ainsi un mélange d’animalité et de fragilité: la composition d’Isabelle Redfern donne à plusieurs reprises le frisson tant son investissement dramatique dépasse le texte – le disque et son livret permettront plus encore de saisir chaque sentiment de cette héroïne blessée. Autour d’elle, Schmitt a la bonne idée de surélever le chœur féminin, aux courtes interventions évanescentes, et de faire venir sur scène une urne funéraire glaçante pour l’héroïne, en une procession lente et majestueuse.
Isabelle Redfern |
C’est peut-être plus encore la musique de Cannabich qui fait tout le
prix de ce concert, par la variété éloquente de ses climats qui
sollicite toutes les ressources de l’orchestre: outre le foisonnement
guerrier déjà évoqué au début, Cannabich raréfie le tissu orchestral
lorsqu’Electre croit son frère mort, avant que de pétillantes fanfares
aux vents annoncent des jours meilleurs ou que les flûtes apportent un
climat serein et lumineux. N’est-ce pas aussi la voix d’Oreste qui
s’élève de l’orchestre par la voix du violoncelle solo au début de la
quatrième scène? Bernius parvient à se saisir du principal écueil de la
partition, à savoir les nombreuses interruptions du soutien orchestral
par la récitante, omniprésente pendant tout le mélodrame. Avec une
science jamais prise en défaut, il relance le discours musical en un
geste admirable de souplesse et de délicatesse, tout en offrant ici et
là quelques attaques sèches bienvenues en contraste.
De quoi justifier des applaudissements nourris en fin de représentation et nous faire espérer une venue prochaine du chef allemand en France. Quelques indiscrétions nous ont d’ores et déjà révélé que sa présence aux festivals de Vézelay et Besançon est en bonne voie pour 2020: restent à choisir dates et programmes. Bernius pourrait bien nous surprendre en imaginant une proposition aussi inattendue que celle de son disque Ligeti en 2007 (Carus). A suivre.
De quoi justifier des applaudissements nourris en fin de représentation et nous faire espérer une venue prochaine du chef allemand en France. Quelques indiscrétions nous ont d’ores et déjà révélé que sa présence aux festivals de Vézelay et Besançon est en bonne voie pour 2020: restent à choisir dates et programmes. Bernius pourrait bien nous surprendre en imaginant une proposition aussi inattendue que celle de son disque Ligeti en 2007 (Carus). A suivre.
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