Photo : Clara Beck |
Nicola Raab frappe fort en ce début de saison en
livrant une passionnante relecture de Rusalka, que l’on pensait pourtant
connaître dans ses moindres recoins. Très exigeante, sa proposition
scénique nécessite de bien avoir en tête le livret au préalable, tant
Raab brouille les pistes à l’envi en superposant plusieurs points de vue
; de l’attendu récit initiatique de l’ondine, à l’exploration de la
confusion mentale du Prince, sans oublier l’ajout des déchirements
violents d’un couple contemporain en projection vidéo. L’utilisation des
images projetées constitue l’un des temps forts de la soirée, donnant
aussi à voir l’élément marin dans toute sa froideur ou son expression
tumultueuse, en miroir des tiraillements des deux héros face à leurs
destins croisés : l’éveil à la nature pour le Prince et l’acceptation de
la sexualité pour Rusalka. Au II, face à une Rusalka muette aux allures
d’éternelle adolescente, la Princesse étrangère représente son double
positif et sûre d’elle, volontiers rugueux.
La scénographie minimaliste en noir et blanc, puissamment évocatrice,
entre sol labyrinthique et portes à la perspective démesurée, force
tout du long le spectateur à la concentration, tandis qu’un simple
rideau en arrière-scène permet de dévoiler plusieurs saynètes en même
temps, notamment quelques flash back avec Rusalka interprétée par une
enfant. Cette idée rend plus fragile encore l’héroïne, dont la sorcière
Jezibaba serait l’infirmière au temps de l’adolescence (une idée déjà
développée par David Pountney pour l’English National
Opera en 1986 – un spectacle disponible en dvd). Une autre piste
suggérée consiste à imaginer Rusalka comme un fantôme qui revit les
événements en boucle, ce que suggère la blessure de chasse reçue en fin
de première partie.
Photo : Clara Beck |
Quoi qu’il en soit, ces multiples interprétations
font de ce spectacle l’un des plus riches imaginé depuis longtemps, à
voir et à revoir pour en saisir les moindres allusions. Après la réussite de la production de Francesca da Rimini, donnée ici-même voilà deux ans, voilà un nouveau succès à mettre au crédit de l’Opéra du Rhin (par ailleurs récemment honoré par le magazine allemand Opernwelt en tant qu’”Opéra de l’année 2019″ ).
Le plateau vocal réuni pour l’occasion
donne beaucoup de satisfaction pendant toute la représentation, malgré
quelques réserves de détail. Ainsi de la Rusalka de Pumeza Matshikiza,
dont la rondeur d’émission trouve quelques limites dans l’aigu, un peu
plus étroit dans le haut de la tessiture. La soprano sud-africaine
semble aussi fatiguer peu à peu, engorgeant ses phrasés outre mesure.
Des limites techniques heureusement compensées par une interprétation
fine et fragile, en phase avec son rôle. A ses côtés, Bryan Register
manque de puissance dans la fureur, mais trouve des phrasés inouïs de
précision et de sensibilité, à même de procurer une vive émotion lors de
la scène de la découverte de Rusalka, puis en toute fin d’ouvrage.
Photo : Clara Beck |
Attila Jun est plus décevant en comparaison, composant un pâle Ondin au
niveau interprétatif, aux graves certes bien projetés, mais plus en
difficulté dans les accélérations aiguës au II. Rien de tel pour Patricia Bardon
(Jezibaba) qui donne la prestation vocale la plus étourdissante de la
soirée, entre graves gorgés de couleurs et interprétation de caractère.
On espère vivement revoir plus souvent cette mezzo de tout premier plan,
bien trop rare en France. Outre les parfaits seconds rôles, on
mentionnera la prestation inégale de Rebecca Von Lipinski
(La Princesse étrangère), qui se montre impressionnante dans la
puissance pour mieux décevoir ensuite dans le medium, avec des phrasés
instables.
Enfin, les chœurs de l’Opéra national du Rhin se montrent à la hauteur de l’événement, tandis qu’Antony Hermus
confirme une fois encore tout le bien que l’on pense de lui, en
épousant d’emblée le propos torturé imaginé par Raab. Toujours attentif
aux moindres inflexions du récit, le chef néerlandais alanguit les
passages lents en des couleurs parfois morbides, pour mieux opposer en
contraste la vigueur des verticalités. Les rares passages guillerets,
tels que l’intervention moqueuse des nymphes ou les maladresses du
garçon de cuisine, sont volontairement tirés vers un côté sérieux, en
phase avec la mise en scène. Un très beau travail qui tire le meilleur
de l’Orchestre philharmonique de Strasbourg.
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