Précédée d’un excellent bouche-à-oreille, la reprise de ce spectacle
crée en 2017 à Francfort est l’un des événements à ne pas manquer de ce
début de saison, et ce d’autant plus que les trois petits ouvrages de
Krenek (1900-1991) sont rarement donnés lors d’une même soirée, comme ce
fut le cas en 1928 pour leur création à Wiesbaden. Après l’éclatant
succès de Jonny spielt auf l’année précédente, Krenek ressentit
manifestement le besoin de prouver toute l’étendue de son talent, non
seulement au niveau de ses qualités littéraires, en tant qu’auteur de
livret, mais aussi par la mesure de la variété de son inspiration
musicale, audible dans ces trois bijoux finement ciselés, aux
atmosphères si contrastées : la scansion rythmique piquante et
chambriste de l’opéra tragique Le Dictateur, fait ainsi rapidement place à l’esprit forain et jazzy de l’opérette burlesque Poids lourd, ou L’Honneur de la Nation,
rappelant l’écriture du groupe des Six, avant de conclure sur une
puissance d’évocation symphonique proche de l’ancien maître Schreker
dans l’opéra féerique Le Royaume secret.
David Hermann a la bonne idée de lier les trois histoires, pourtant très
différentes, en plaçant au centre de l’action les personnages du fou et
du dictateur-roi (interprété par le même chanteur: tous deux observent
les événements lorsque le livret ne les sollicite pas, l’un comme un
souverain avide de divertissement, l’autre comme une sorte de «Monsieur
Loyal» distancié, le tout en un décor et des costumes d’allures
fantastiques et intemporels. Les amours contrariées du dictateur,
imaginé par Krenek pour moquer Mussolini et son addiction aux conquêtes
féminines, prennent d’abord une tournure tragique, avant d’embrasser la
farce burlesque, pour finalement achever le parcours initiatique en un
inattendu hommage à la toute-puissance de la nature, créatrice et
nourricière. A chaque fois, Hermann surprend par une scénographie de
toute beauté, d’abord épurée au I, plus malicieuse ensuite avec son
théâtre dans le théâtre «brechtien» au II, avant d’enfouir littéralement
le dictateur dans un bunker sinistre au III. A chaque fois, la
direction d’acteur fait mouche et achève de convaincre de la pleine
réussite de cette proposition.
Le plateau vocal réuni pour l’occasion montre un bon niveau homogène,
sans pour autant briller, s’imposant surtout dans le parlé-chanté
rigoureux. C’est particulièrement vrai de Davide Damiani, idéal de
noirceur dans ses phrasés, au timbre fatigué mais en phase avec son
rôle, ou de Sebastian Geyer, confondant de naturel entre aisance vocale
et dramatique – il est logiquement acclamé en fin de représentation pour
sa belle prestation. Outre le parfait Michael Porter, à la rondeur
d’émission toujours aussi flatteuse, on mentionnera les aigus
spectaculaires d’Ambur Braid, même si elle souffre quelque peu dans les
vocalises meurtrières au III. Enfin, Angela Vallone combine
admirablement engagement et ivresse vocale, à même de convaincre
pleinement dans son rôle d’épouse bafouée. On retrouve dans la fosse,
comme en 2017, l’un des grands spécialistes de ce répertoire en la
personne de Lothar Zagrosek, bien connu pour ses enregistrements de la
série «Entartete Musik» pour Decca (dont Jonny spielt auf).
Le geste toujours sûr du chef allemand ne cherche jamais à prendre
l’avantage sur le plateau, se montrant toutefois un rien timide dans
l’extraversion des passages satiriques.
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