dimanche 27 octobre 2019

« Don Carlo » de Verdi - Krzysztof Warlikowski - Opéra Bastille à Paris - 25/10/2019


Parmi les spectacles phares de la saison 2017-2018 de l’Opéra de Paris figurait la nouvelle production de Don Carlos dans sa version originale de 1866 (en français), réunissant une double distribution de haut vol, toutefois diversement appréciée. Place cette fois à la version italienne de 1886, dite «de Modène», où Verdi choisit de rétablir le premier acte souvent supprimé, tout en conservant les autres modifications ultérieures : c’est là l’illustration de vingt ans de tentatives pour améliorer un ouvrage trop long et touffu, dont la noirceur générale pourra dérouter les habitués du Verdi plus extraverti et lumineux de La Traviata (1853). Pour autant, en s’attaquant au grand opéra à la française, le maître italien cisèle un diamant noir à la hauteur de son génie, où oppression et mal-être suintent par tous les pores des personnages.

C’est précisément la figure tourmentée du roi Philippe II qui intéresse Krzysztof Warlikowski, caractérisant d’emblée la difficulté à succéder à un monarque aussi illustre que Charles Quint : le sinistre buste en cire du père trône ainsi sur le bureau comme une figure oppressante, avant qu’un acteur ne vienne l’incarner dans les scènes où Philippe croit entendre sa voix. Cette présence continuelle du passé est renforcée par la transposition de l’action au XXème siècle, où les choeurs grimés en visiteurs attendent de découvrir les pièces du château, transformé en musée figé, tandis que les projections vidéos en arrière-scène insistent sur la souffrance intérieure des principaux personnages avec leur visage en gros plan. Si l’idée d’introduire une salle d’entraînement d’escrime peut séduire par sa référence au contexte guerrier sous-jacent, on aime aussi l’allusion aux influences andalouses représentées par la cage rouge aux allures de moucharabieh.

On regrette toutefois que Warlikowski n’anime pas davantage sa direction d’acteur et se contente d’un beau jeu sur les volumes avec ses éléments de décor déplacés en bloc, agrandissant ou rétrécissant la vaste scène au besoin. On a là davantage un travail de scénographe, toujours très stylisé, mais malheureusement à côté de la plaque dans la scène de l’autodafé, peu impressionnante avec son amphithéâtre simpliste et ses costumes aussi fastueux que colorés, à mille lieux de l’évocation du rigorisme religieux dénoncé par Verdi. En revanche, l’idée de faire du Grand Inquisiteur une sorte de chef des services secrets est plutôt bien vue, de même que de placer son duo glaçant avec Philippe dans un oppressant fumoir Art déco au III.

A cette mise en scène inégale répond un plateau vocal de tout premier plan, fort justement applaudi par un public enthousiaste en fin de représentation, et ce malgré le retrait inattendu de Roberto Alagna après le premier entracte pour cause d’état grippal. Le ténor français avait montré quelques signes de faiblesse inhabituels, autour d’une ligne flottante et parfois en léger décalage avec la fosse. Le manque d’éclat face à Aleksandra Kurzak était également notable. Son remplacement par Sergio Escobar ne convainc qu’à moitié, tant la petite voix de l’Espagnol s’étrangle dans les aigus difficiles, compensant ses difficultés techniques par des phrasés harmonieux dans le medium et un timbre chaleureux. Il est vrai qu’il souffre de la comparaison face à ses partenaires, au premier rang desquels René Pape (Philippe II) et sa classe vocale toujours aussi insolente d’aisance sur toute la tessiture, le tout au service d’une composition théâtrale d’une grande vérité dramatique.

C’est précisément en ce dernier domaine qu’Anita Rachvelishvili conquiert le public par la force de son incarnation, à l’engagement démonstratif : ses graves mordants, tout autant que ses couleurs splendides, font de ses interventions un régal de chaque instant. A ses côtés, Aleksandra Kurzak s’impose dans un style plus policé, mais d’une exceptionnelle tenue dans la déclamation et la rondeur vocale, notamment des pianissimi de rêve. Il ne lui manque qu’un soupçon de caractère pour incarner toutes les facettes de son rôle, mais ça n’est là qu’un détail à ce niveau. Autre grande satisfaction de la soirée avec le superlatif Rodrigo d’Étienne Dupuis, aux phrasés inouïs de précision et de raffinement, à la résonance suffisamment affirmée pour faire jeu égal avec ses partenaires en ce domaine. On notera enfin la bonne prestation de Vitalij Kowaljow, qui trouve le ton juste pour donner une grandeur sournoise au Grand Inquisiteur, tandis que le choeur de l’Opéra de Paris se montre bien préparé.

Seule la direction trop élégante de Fabio Luisi déçoit quelque peu dans ce concert de louanges, alors qu’on avait pourtant grandement admiré le geste lyrique du chef italien lors de sa venue à Paris l’an passé pour Simon Boccanegra. Il manque ici la noirceur attendue en de nombreux passages, notamment verticaux, même si les couleurs pastels des parties apaisées séduisent davantage en comparaison.

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