Nouveau directeur artistique de l’Opéra flamand / Opera Ballet Vlaanderen, depuis le début de la saison 2019-2020, Jan Vandenhouwe
s’est fait connaître en France comme dramaturge, notamment à l’occasion
de son travail avec Anne Teresa de Keersmaeker pour le Cosi fan tutte
présenté à l’Opéra de Paris.
Avec cette nouvelle production de Rusalka (1901), c’est à nouveau à un
chorégraphe qu’est confiée la mission de renouveler notre approche de
l’un des plus parfaits chefs d’œuvre du répertoire lyrique : en faisant
appel au norvégien Alan Lucien Øyen, artiste en
résidence au Ballet national à Oslo, Vandenhouwe ne réussit
malheureusement pas son pari, tant l’imaginaire visuel minimaliste ici à
l’oeuvre, réduit considérablement les possibilités dramatiques offertes
par le livret.
Øyen choisit en effet de circonscrire l’action dans un décor unique
pendant toute la représentation, qui évoque une sorte de monumental
double paravent en bois, proche d’une élégante sculpture contemporaine.
Les interstices laissent entrevoir des jeux d’éclairage intéressants,
dont les couleurs dévoilent alternativement les univers humains et
marins, sans toutefois apporter de réelle valeur ajoutée à la
compréhension des enjeux. On constate très vite qu’Øyen manque d’idées
et se contente d’une illustration décorative, mettant au premier plan
les danseurs qui doublent les chanteurs (trop statiques), à la manière
du travail réalisé par Pina Bausch dans Orphée et Eurydice à l’Opéra de
Paris.
Là où Bausch nous avait émerveillé en restant au plus près des
intentions musicales et dramaturgiques de l’ouvrage, Øyen s’enlise dans
des mouvements trop répétitifs, aux ondulations nerveuses et
désarticulées, au centre de gravité très bas. Si l’animalité qui en
découle peut convenir à l’évocation du merveilleux (ondine et sorcière
réunis), on est beaucoup moins convaincu en revanche sur le travail peu
différencié réalisé avec le Prince et ses courtisans.
Le plateau vocal réuni permet de retrouver la Rusalka de Pumeza Matshikiza, entendue récemment à Strasbourg.
On avoue ne pas comprendre l’enthousiasme du public pour cette
chanteuse très inégale, au timbre rocailleux, à l’émission souvent trop
étroite, hormis lorsque la voix est bien posée en pleine puissance. Peu à
son aise dans les accélérations, la Sud-Africaine ne convainc pas non
plus au niveau interprétatif, à l’instar du pâle Prince de Kyungho Kim
qui semble réciter son texte. Si le ténor coréen séduit par ses phrasés
souples, naturels, bien placés dans l’aigu, il manque de graves pour
convaincre totalement au niveau vocal. On perçoit le même défaut de
tessiture chez Goderdzi Janelidze qui donne toutefois à son Ondin des intentions plus franches, à la voix généreuse dans l’éclat. Maria Riccarda Wesseling
incarne quant à elle une Jezibaba à la technique propre et sans faille,
un rien timide dans les possibilités dramatiques de son rôle, tandis
que Karen Vermeiren donne à sa Princesse étrangère la
solidité vocale requise. La satisfaction vient davantage des seconds
rôles, à l’instar du truculent Daniel Arnaldos (Le garde forestier), à l’expression haute en couleur admirable de justesse, ou des parfaites et homogènes trois nymphes.
Giedrė Šlekytė |
Mais c’est peut-être plus encore la direction constamment passionnante de la Lituanienne Giedrė Šlekytė
(née en 1989) qui surprend tout du long par son à-propos dans la
conduite du discours narratif : on aura rarement entendu une telle
attention aux nuances, une construction des crescendos aussi criante de
naturel, le tout en des tempi vifs, à l’exception notable des pianissimi
langoureux. L’étagement des pupitres, comme l’allègement des textures,
est un régal de subtilité, même si on aurait aimé davantage de noirceur
dans les parties dévolues à l’Ondin ou à la sorcière. Cette baguette
talentueuse devrait très vite s’imposer comme l’une des interprètes les
plus recherchées de sa génération. A suivre.
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