lundi 5 avril 2021

« Juliette et Roméo » de Niccolò Zingarelli - Adèle Charvet et Franco Fagioli - Opéra de Versailles - 03/04/2021

 

En ces temps de pandémie, on sait pouvoir compter sur la détermination et l’énergie de Laurent Brunner, directeur de Château de Versailles Spectacles, pour continuer à faire bouger certains clivages en vogue. On se souvient ainsi de sa Flûte enchantée de Mozart chantée en français (dont le disque/DVD vient de paraître, après le spectacle donné en début d’année dernière): un crime de lèse-majesté dans notre pays où règne depuis des décennies le diktat de la version originale, là où l’Allemagne et plus encore l’Italie ne s’embarrassent pas de parti pris systématique.

Avec le présent enregistrement de Juliette et Roméo (1798) de Niccolò Zingarelli (1752-1837), il faut se résoudre à n’en découvrir que les plus beaux airs et ensembles, sans les récitatifs. Les tenants d’une version «complète» ne peuvent ignorer que chaque production du XVIIIe siècle adapte l’ouvrage en fonction des forces en présence, modifiant les tessitures ou ajoutant un air pour un chanteur fameux. En 1785, Haydn lui-même, lors de la production de Montezuma (1781), premier opéra de Zingarelli donné à Esterháza, n’hésite pas à remplacer les airs les plus faibles par ceux d’autres compositeurs italiens. Doit-on ajouter que l’air le plus fameux de Juliette et Roméo, «Ombra adorata aspetta», a été composé par le castrat Girolamo Crescentini, avec l’accord de Zingarelli?

Quoi qu’il en soit, on ne peut que saluer la redécouverte du chef-d’œuvre de Zingarelli, entamée dès 2016 lors des festivals de Salzbourg, puis Schwetzingen: c’est là l’occasion de remettre au goût du jour la musique de l’un des plus éminents compositeurs de son temps, aujourd’hui éclipsé par ses contemporains Haydn et Mozart – à l’instar de la plupart des compositeurs de l’école napolitaine, tels Traeta, Sacchini, Piccinni, Anfossi, Jommelli, et dans une moindre mesure Paisiello et Cimarosa. Outre trente-quatre opéras, la plupart relevant du modèle sérieux, la muse de Zingarelli s’illustre dans tous les genres, que ce soient les pièces religieuses (fruits de ses différents postes en Italie, notamment auprès du Vatican) ou symphoniques (voir le disque de Vanni Moretto avec l’ensemble Atalanta Fugiens). Fêté dès 1790 à Paris avec la création d’Antigone, le Napolitain est ensuite rattaché à la Chapelle de Napoléon Bonaparte, qui le considère comme le «plus grand compositeur vivant après Paisiello» et le préfère à Cherubini et sa musique jugée «trop bruyante» (cité par Marc Vignal dans son Luigi Cherubini, Bleu Nuit, 2017). Dernier professeur de Bellini en 1822, alors qu’il dirige le Conservatoire San Sebastiano à Naples, Zingarelli s’illustre alors comme anti-rossiniste notoire, en déplorant que les «voix doivent hurler pour dominer le vacarme des instruments» (cité par Pierre Brunel dans son Vincenzo Bellini, Fayard, 1981). Il reste ainsi attaché au style mozartien, mâtiné de virtuosité, qui irrigue son vibrant Juliette et Roméo.

Adèle Charvet

Si l’Orchestre de l’Opéra royal, fondé en 2019 à l’occasion de la représentation des Fantômes de Versailles de John Corigliano , met un peu de temps à se chauffer, notamment les cordes peu en place, le tempérament de feu du chef Stefan Plewniak ne tarde pas à faire son office: les attaques sèches sont un régal dans les tutti, tout autant que les interventions piquantes aux bois. Egalement chef de l’ensemble Il Giardino d’Amore, Plewniak se délecte de la variété des climats, autant dans l’orchestration que l’écriture pour les voix (nombreux ensembles et place importante du chœur). Il est vrai qu’autant les cordes réduites à une quinzaine d’interprètes que le chœur masculin et ses six chanteurs, mettent subtilement en valeur les solistes, tous de haute tenue.

Ainsi d’Adèle Charvet, qui impose ses phrasés nobles et sa voix charnue, même si elle perd quelque peu en substance dans les accélérations. On pourra faire le même reproche à Franco Fagioli dans son premier air meurtrier, sans parler de ses inutiles afféteries dans les passages émouvants. Mais le contre-ténor argentin sait nous rappeler toute l’étendue de sa classe vocale dans les changements de registre périlleux ou les diminuendos, à la hauteur de sa réputation. On aime aussi la clarté et la prestance, toujours de grand style, de Philippe Talbot, même si l’on note un manque de graves dans son deuxième air aux allures martiales.

On attend avec impatience l’édition de ce concert, au disque ou sur la prochaine plateforme audio et vidéo de Château de Versailles Spectacles, en cours de réalisation, qui permettra de disposer de l’ensemble des parutions de l’éditeur.

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