En ces temps de pandémie, on sait pouvoir compter sur la détermination
et l’énergie de Laurent Brunner, directeur de Château de Versailles
Spectacles, pour continuer à faire bouger certains clivages en vogue. On
se souvient ainsi de sa Flûte enchantée de Mozart chantée en
français (dont le disque/DVD vient de paraître, après le spectacle donné
en début d’année dernière): un crime de lèse-majesté dans notre pays où
règne depuis des décennies le diktat de la version originale, là où
l’Allemagne et plus encore l’Italie ne s’embarrassent pas de parti pris
systématique.
Avec le présent enregistrement de Juliette et Roméo (1798) de
Niccolò Zingarelli (1752-1837), il faut se résoudre à n’en découvrir que
les plus beaux airs et ensembles, sans les récitatifs. Les tenants
d’une version «complète» ne peuvent ignorer que chaque production du
XVIIIe siècle adapte l’ouvrage en fonction des forces en présence,
modifiant les tessitures ou ajoutant un air pour un chanteur fameux. En
1785, Haydn lui-même, lors de la production de Montezuma (1781),
premier opéra de Zingarelli donné à Esterháza, n’hésite pas à remplacer
les airs les plus faibles par ceux d’autres compositeurs italiens.
Doit-on ajouter que l’air le plus fameux de Juliette et Roméo, «Ombra adorata aspetta», a été composé par le castrat Girolamo Crescentini, avec l’accord de Zingarelli?
Quoi qu’il en soit, on ne peut que saluer la redécouverte du
chef-d’œuvre de Zingarelli, entamée dès 2016 lors des festivals de
Salzbourg, puis Schwetzingen: c’est là l’occasion de remettre au goût du
jour la musique de l’un des plus éminents compositeurs de son temps,
aujourd’hui éclipsé par ses contemporains Haydn et Mozart – à l’instar
de la plupart des compositeurs de l’école napolitaine, tels Traeta,
Sacchini, Piccinni, Anfossi, Jommelli, et dans une moindre mesure
Paisiello et Cimarosa. Outre trente-quatre opéras, la plupart relevant
du modèle sérieux, la muse de Zingarelli s’illustre dans tous les
genres, que ce soient les pièces religieuses (fruits de ses différents
postes en Italie, notamment auprès du Vatican) ou symphoniques (voir le disque de Vanni Moretto avec l’ensemble Atalanta Fugiens). Fêté dès 1790 à Paris avec la création d’Antigone, le Napolitain est ensuite rattaché à la Chapelle de Napoléon Bonaparte, qui le considère comme le «plus grand compositeur vivant après Paisiello» et le préfère à Cherubini et sa musique jugée «trop bruyante» (cité par Marc Vignal dans son Luigi Cherubini, Bleu Nuit,
2017). Dernier professeur de Bellini en 1822, alors qu’il dirige le
Conservatoire San Sebastiano à Naples, Zingarelli s’illustre alors comme
anti-rossiniste notoire, en déplorant que les «voix doivent hurler pour dominer le vacarme des instruments» (cité par Pierre Brunel dans son Vincenzo Bellini, Fayard, 1981). Il reste ainsi attaché au style mozartien, mâtiné de virtuosité, qui irrigue son vibrant Juliette et Roméo.
Adèle Charvet |
On attend avec impatience l’édition de ce concert, au disque ou sur la prochaine plateforme audio et vidéo de Château de Versailles Spectacles, en cours de réalisation, qui permettra de disposer de l’ensemble des parutions de l’éditeur.
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