Après avoir mis le Japon à l’honneur l’an passé (avec notamment la création de l’opéra Le Pavillon d’or de Toshiro Mayuzumi),
le festival pluridisciplinaire Arsmondo rend hommage à l’Argentine, en
proposant jusqu’au 17 mai toute une série d’événements culturels liés à
ce pays. Outre la création française de Beatrix Cenci d’Alberto Ginastera (1916-1983) à l’Opéra du Rhin,
on recommandera la visite de l’exposition éponyme au Musée des
Beaux-Arts, tout autant que les représentations filmées de Beatrice
Cenci de Berthold Goldschmidt et surtout de Bomarzo (1967), le plus
célèbre ouvrage de Ginastera – tous deux projetés le 6 avril prochain à
l’Opéra de Strasbourg. En attendant, le public pourra se familiariser
avec le dernier ouvrage lyrique de Ginastera, créé en 1971 pour
l’inauguration du Kennedy Center de Washington (tout comme Mass de
Leonard Bernstein).
De quoi nous rappeler combien ce
compositeur, dont le répertoire symphonique est aujourd’hui revisité par
plusieurs disques dus à la curiosité du chef Juanjo Mena (pour
Chandos), avait su s’imposer au firmament des artistes reconnus en
Amérique, mais également en France (voir notamment la biographie rédigée par l’IRCAM). Au fait de ses
moyens en 1971, Ginastera assemble des éléments épars avec virtuosité,
en de brefs crescendos interrompus brutalement, au profit de silences ou
de tuttis qui mettent en contraste graves inquiétants et suraigus
stridents. Unissons paroxystiques, sonorités étranges, pastiches du
Moyen Age s’allient à l’inventivité de l’écriture pour les voix
(chuchotements, sifflements, etc) – bien rendue ici par l’admirable chœur de l’Opéra du Rhin.
Le langage varié de Ginastera multiplie par ailleurs les dissonances
dans l’esprit avant-gardiste de l’époque, mais n’en oublie jamais la
nécessité d’un discours musical au service du livret.
Après le succès et la polémique
engendrée par son opéra précédent Bomarzo (interdit dans son propre
pays pour des raisons politiques), Ginastera s’inspire de l’affaire
Cenci, popularisée en France par Stendhal et Dumas : ce fait divers
sordide du XVIème siècle reste terriblement actuel par le récit
saisissant d’une vengeance familiale sur fond d’inceste. Assez court
(1h30), l’ouvrage de Ginastera surprend quant à lui par son livret tour à
tour réaliste et poétique. En cause, la mésentente des deux
librettistes William Shand et Alberto Girri qui donne des passages
étranges et désincarnés, étonnamment mêlés aux accélérations subites du
récit, lorsque les attendus dramatiques s’imposent à l’action.
L’argentin Mariano Pensotti
(né en 1973), dont c’est là la première mise en scène lyrique, s’empare
de cette dualité en proposant un climat d’étrangeté proche du cinéma
fantastique : la succession lancinante de l’ensemble des pièces de la
maison Cenci, au moyen d’un plateau tournant, est un régal pour les
yeux, distillant ses discrets éléments d’étrangeté tels les chiens
empaillés ou le costume d’handicapée de l’héroïne (une évocation de
l’appétence pour la souffrance qui rappelle autant les films Crash de
Cronenberg que La piel que habito d’Almodovar). Autour d’une
transposition dans les années 1960, superbe au niveau visuel, les
différents tableaux dévoilés donnent un climat hypnotique et fascinant
jusqu’à la césure des préparatifs du meurtre, représentée par un vaste
mur froid et gris.
Bénéficiant de la direction flamboyante de Marko Letonja, l’ensemble des interprètes livre une prestation habitée, au premier rang desquels le Francesco retors de Gezim Myshketa, aux graves bien projetés. C’est peut-être plus encore Ezgi Kutlu
(Lucrecia Cenci) qui convainc à force d’opulence dans l’émission et de
conviction dramatique. D’abord timide au début, conformément à son rôle,
Leticia de Altamirano (Beatrix Cenci) déploie ensuite
sa petite voix pour endosser ses habits d’héroïne blessée et fragile. En
cela, elle donne une attention toute de finesse et d’à-propos à sa
prestation, tout à fait bienvenue. Un spectacle réussi que l’on
conseille de découvrir très vite pour parfaire sa connaissance de la
musique de la deuxième moitié du XXème siècle.
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