On aurait tort de ne pas succomber aux charmes de Baden-Baden, une des rares villes allemandes ayant échappé aux bombardements de la fin de la 2è guerre mondiale, puis aux méfaits de l’urbanisation à outrance : entourée du massif de la forêt noire, la ville a fondé sa réputation sur les bienfaits de ses sources naturelles, devenant la capitale d’été de toute l’aristocratie européenne au XIXè siècle. De nos jours, le flot de touristes représente encore l’une des principales mannes financières, ce qui explique pourquoi la ville, avec seulement un peu plus de 55.000 habitants, a réussi à se doter de la plus grande salle de concert d’Allemagne (2.500 places). Le Palais des festivals – c’est son nom – a été bâti en 1998, attenant à l’ancienne gare du centre-ville, parfaitement réhabilitée et désormais dédiée à la billetterie, aux vestiaires et au restaurant de la salle de concert. Les habitants des environs, dont de nombreux frontaliers Français, ne s’y sont pas trompés et viennent régulièrement en nombre pour applaudir les manifestations : organisée autour de 4 festivals saisonniers, la saison a en effet pour habitude d’attirer les formations les plus prestigieuses, dont l’Orchestre Philharmonique de Berlin en résidence depuis 2013.
On retrouve précisément son chef principal Kirill Petrenko pour défendre l’un de ses compositeurs de prédilection, Piotr Ilitch Tchaïkovski, et plus particulièrement son rare Mazeppa (1884). Ces derniers mois, le septième opéra de Tchaïkovski a joué de malchance avec la pandémie, voyant la présente production repoussée plusieurs fois (et réduite à une version de concert, en lieu et place de la mise en scène de Dmitri Tcherniakov), à l’instar de celle qui devait être présentée à Toulouse et Paris avec les forces du Théâtre du Bolchoï, dirigé par Tugan Sokhiev. En attendant, place au bouillonnant Kirill Petrenko, déjà créateur de l’ouvrage en France dans sa version scénique, à l’Opéra de Lyon (2006).
Désormais plus connu, le chef russe aborde ce concert sans temps morts, engageant ses troupes par des attaques franches et cinglantes dans les parties enlevées, sans aucune respiration ou vibrato, avant de s’apaiser ensuite dans les parties lyriques. Ce geste sans concession se montre toutefois trop répétitif dans ses partis-pris, en délaissant les aspects narratifs et l’émotion, avec des phrasés pour le moins précipités. Si l’on peut se délecter de cette impressionnante cravache et des couleurs de l’un des plus beaux orchestres du monde, ce sont surtout les amateurs de musique pure et de précision technique qui se retrouveront dans cette interprétation, à mille lieux de l’exploration raffinée des détails de l’orchestration, privilégiée par l’ancien chef principal …Simon Rattle.
L’autre déception de la soirée, plus relative, vient de la prestation sous-dimensionnée d’Olga Peretyatko (Maria), dans l’un des principaux rôles. Faute d’un instrument plus conséquent en volume, la soprano joue davantage sur la séduction et le velouté de son émission, mais ne peut faire oublier le peu de caractère de son interprétation. C’est particulièrement audible dans la scène finale de la folie, beaucoup trop lisse pour nous emporter pleinement. Fort heureusement, tout le reste du plateau vocal se montre à un niveau superlatif, au premier rang desquels l’impressionnante basse de Dmitry Ulyanov (Kotchoubeï) : l’aisance technique sur toute la tessiture n’a d’égal que son impact vocal, du fait d’une présence véritablement sonore (digne des plus grandes basses russes) et d’un tempérament dramatique percutant. A ses côtés, Vladislav Sulimsky n’est pas en reste dans le rôle-titre, à force de noblesse de ligne et de projection puissante et harmonieuse. On aime aussi grandement son concurrent malheureux, interprété avec beaucoup de prestance par Dmitry Golovnin. Clarté de la ligne, beauté du timbre ne sont pas pour rien dans la chaleureuse ovation qu’il reçoit en fin de spectacle, avec ses comparses. On notera encore les graves cuivrés et charnus d’Oksana Volkova (Lioubov), ainsi que le tempérament comique d’Alexander Kravets (Le cosaque ivre). Tous les seconds rôles se montrent à la hauteur, de même que l’impeccable Choeur de la Radio de Berlin, dont on entend précisément chaque individualité – un régal de grande classe.
Virtuosité grisante pour les uns, sécheresse émotionnelle creuse pour les autres : ce concert aura laissé des avis mitigés, même si le public en grande partie debout en fin de concert pour applaudir les artistes, semble avoir choisi son camp, celui de Petrenko.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire