samedi 20 novembre 2021

« Wozzeck » d'Alban Berg - Michel Fau - Opéra de Toulouse - 19/11/2021

On sait gré au Théâtre du Capitole de ne pas avoir enfermé Michel Fau en un répertoire léger où il a su faire ses preuves ailleurs (voir notamment Le Postillon de Lonjumeau à l’Opéra-Comique en 2019) : sa récente Elektra, ici-même à Toulouse, a su démontrer toute la force d’impact d’un huis-clos aux couleurs hallucinées, le tout soutenu par un plateau vocal de premier plan. En s’attaquant à un monument tel que Wozzeck, réputé difficile pour remplir les salles, le natif d’Agen choisit un angle original en mettant au premier plan la figure de l’enfant, qui tente de fuir les événements en créant un univers fantasmagorique, rapidement rattrapé par une série de visions cauchemardesques, toutes plus hautes en couleur les unes que les autres : le récit initiatique de ce double de Wozzeck, qui endosse le rôle social prédéterminé de son père en victime impuissante et consentante des notabilités, prend une force saisissante tout du long, renforcée par le rôle muet de ce personnage. Seule la conclusion de l’ouvrage le voit prendre la parole pour énoncer un énigmatique «hop, hop, hop», se soumettant ainsi à la violence du choeur d’enfants, déjà prêt à l’humilier en lui apprenant brutalement la mort de sa mère. Pour interpréter ce rôle en pantomime, Michel Fau a eu la bonne idée de recourir à un comédien d’une présence virevoltante en la personne de Dimitri Doré (né en 1997), dont l’aspect juvénile fait croire à un gamin d’à peine douze ans. 

 

Visuellement, les costumes et les maquillages rendent hommage au cinéma muet, de même que la direction d’acteur dévolue au rôle-titre, volontairement figée. La trajectoire de Wozzeck n’en parait que plus inéluctable, même si le personnage passe au second plan, au profit de son enfant : c’est bien ce dernier qui émeut dans le climax symphonique étouffant après la mort de Marie, en se prenant la tête de manière désespérée. Michel Fau colle ainsi au plus près des moindres péripéties du livret, avec force détails, tout en s’appuyant sur les inflexions musicales très théâtrales de Berg - interludes compris. La scène resserrée au début, autour d’une chambre poisseuse creusée à même la roche, évoque d’emblée l’univers restreint du rôle-titre, au niveau matériel comme intellectuel, avant que les couleurs expressionnistes ne colorent ce drame philosophique et social d’une atmosphère irréelle et fantastique - à mille lieux de l’épure esthétisante et répétitive d’un Christoph Marthaler (voir la production parisienne en 2008). 

Dimitri Doré et Stéphane Degout

Comme à son habitude, Toulouse donne un soin particulier au choix de ses chanteurs, même si on pourra regretter les aigus arrachés de Sophie Koch, particulièrement audibles dans les changements de registre. En dehors de ces difficultés, la soprano française fait valoir une présence scénique saisissante d’engagement, bien épaulée par le superlatif Wozzeck de Stéphane Degout, toujours aussi impressionnant de précision dans la diction. A leurs côtés, tous les seconds rôles brillent, parfaitement mis en valeur par l’excellente acoustique des lieux. Mais c’est peut-être plus encore la direction post-mahlérienne de Leo Hussain qui émeut à force de tendresse narrative, liant chaque épisode en un vaste flux musical étourdissant : le chef britannique n’est pas pour rien dans la réussite de la soirée, à même de mettre en valeur les splendides couleurs de l’Orchestre national du Capitole, visiblement en forme.


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