mercredi 5 avril 2023

« Nixon en Chine » de John Adams - Valentina Carrasco - Opéra Bastille à Paris - 04/04/2023

Compositeur emblématique du courant minimaliste, John Adams (né en 1947) fait une entrée remarquée au répertoire de l’Opéra de Paris avec son tout premier ouvrage lyrique Nixon en Chine (1987) : un signe révélateur de la notoriété acquise par ce chef d’oeuvre, y compris dans notre pays. Si Bobigny avait accueilli la production originelle de Peter Sellars, quatre ans après sa création, il a fallu attendre 2012 pour réentendre à Paris cette musique envoûtante d’ivresse rythmique, cette fois au Théâtre du Châtelet.

Porté par un Gustavo Dudamel des grands soirs, l’Orchestre national de l’Opéra de Paris surprend d’emblée par son élégance chambriste, presque en sourdine, qui offre une fusion des timbres inouïe de raffinement en première partie. Le contraste n’en est que plus saisissant dans les parties plus verticales, où Dudamel empoigne ses troupes pour ciseler une incandescente alternance de crescendos et decrescendos, à même d’enflammer ses troupes. 

Le point d’orgue est atteint lors du ballet endiablé au II, qui déchaîne des pulsions volontiers animales, avant que le III ne s’apaise dans l’exploration nocturne et délicate des états d’âmes des protagonistes, réfugiés dans l’intimité de leur couple. 

On passe ainsi d’une musique spectaculaire et enivrante, d’un post-romantique digne de la pièce symphonique Harmonielehre (1985), à une évocation vaporeuse et subtile, au langage post-impressionniste. Proche du parlé-chanté, le chant ne provoque jamais le frisson, mais reste toujours tonal (comme la musique). 

Au-delà de la fascination ressentie pour cette musique frémissante et mouvante, c’est bien entendu le choix d’un sujet politique relativement proche (du moins en 1987) qui interroge. On doit en effet à Peter Sellars, metteur en scène fétiche d’Adams, le choix d’un sujet historique, censé interroger le mythe de l’un des plus importants voyages réalisés par un chef d’Etat : en 1972, Nixon, alors au fait de sa puissance (il est réélu triomphalement cette année-là), profite de son état de grâce pour prendre à contre-pied ses partisans, férocement anti-communistes. En faisant de ce voyage, la première étape d’un rapprochement économique inattendu avec la Chine, en pleine guerre froide, Nixon surprend tout son petit monde par son pragmatisme audacieux.

Le livret allusif de la poétesse Alice Goodman déçoit par le peu d’action offert à l’ouvrage, mais reste suffisamment sensible pour brosser le portrait des différents protagonistes, sans prendre parti pour l’un d’entre eux – ce que le sujet aurait pu laisser craindre.

La mise en scène de Valentina Carrasco est plus explicite, en rappelant les ravages de la censure chinoise lors de la Révolution culturelle, tout comme les brutalités commises loin des regards. Des sujets évoqués en une splendide mise en perspective étagée au I, pendant que les huiles se régalent du langage ésotérique de la diplomatie, dans les hauteurs. On aime aussi le travail documentaire réalisé par l’ancienne assistante d’Alex Ollé (La Fura dels Baus), qui dénonce par l’image et la vidéo (édifiant témoignage d’un directeur de Conservatoire brimé par Mao, après l’entracte), tous les méfaits du totalitarisme chinois. En mémoire du dégel sportif déjà initié en 1971, le choeur apparait grimé en joueurs de ping-pong : c’est là le prétexte à de superbes fresques chorégraphiées, qui reviennent plusieurs fois, tel un fil rouge. Ces partis-pris d’apparence plus frivoles, à l’instar du dragon qui poursuit Pat Nixon, sont toujours en phase avec les moindres inflexions musicales, volontiers plus tendres et malicieuses par endroits. 

Les chanteurs réunis, d’un niveau très homogène, portent haut le mélange de grandiloquence et d’intériorité attendu pour leurs rôles. Ainsi des vétérans Thomas Hampson (Richard Nixon) et Renée Fleming (Pat Nixon), qui compensent un manque d’impact vocal (surtout audible au I, en étant quelque peu couverts par l’orchestre) par un art des phrasés toujours aussi souverain, à même de faire valoir l’ambiguïté de leurs compositions. On aime plus encore le Mao de grande classe de John Matthew Myers, autant pour sa fraîcheur de timbre que son mordant aérien sur toute la tessiture. Très applaudie en fin de représentation, Kathleen Kim (Chiang Ch’ing) impressionne quant à elle par la pureté de sa ligne, au métal brillant, tandis que Xiaomeng Zhang (Zhou Enlai) se distingue avec des qualités semblables, tout aussi délectables.

Assurément un spectacle d’une grande beauté visuelle, qui sait aussi faire réfléchir sur la réalité des méfaits du totalitarisme chinois, et par extension du cynisme américain, volontiers oublieux de ses principes au nom de la realpolitik. Un spectacle à voir sur scène jusqu’au 16 avril prochain ou en ligne sur la nouvelle plate-forme Paris Opera Play (https://play.operadeparis.fr/), qui permet de voir ou revoir tous les spectacles de l’Opéra de Paris, sur abonnement.

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