Cinq ans avant le triomphe de Faust en 1859, La Nonne sanglante, pourtant plombée par un livret indigent, montre un Charles Gounod déjà au fait de son inspiration, portée par une veine mélodique inépuisable. Une rareté exhumée à Saint-Étienne (après l’Opéra Comique en 2018), et transposée ici chez les Esquimaux.
Transposer l’action de La Nonne sanglante
parmi la civilisation des Esquimaux ? Et pourquoi pas, après tout,
puisque le livret du deuxième opéra de Gounod ne passionne guère, tant
l’action y est inexistante. En choisissant une mise en scène
essentiellement visuelle, aux splendides costumes traditionnels baignés
d’éclairages évocateurs, Julien Ostini choisit de nous confronter au
monde des glaces, symbole des rudesses sentimentales ici à l’œuvre : la
vengeance de la Nonne nous fait ainsi voyager entre scénographie
exotique et chorégraphies volontiers tribales, pendant qu’une pluie de
confettis rouges envahit le sol pour figurer les meurtres anciens et à
venir.
On regrette toutefois que les costumes ne permettent de différencier
davantage les deux familles concurrentes réunies par le mariage, à même
de mieux faire saisir les enjeux en présence. Quoi qu’il en soit, autant
la séduction visuelle que la musique de Gounod, aux chœurs variés et
nombreux (impeccable Chœur lyrique Saint-Étienne Loire) donnent beaucoup
de plaisir tout du long.
On aime aussi le chant noble et altier de Jérôme Boutillier (Le Comte Luddorf), moins convaincant dans la fureur au début, tandis que Thomas Dear (Pierre l’Ermite) fait encore valoir ses phrasés d’une précision millimétrée, en phase avec le sérieux attendu pour son rôle. On aime aussi l’insolence lumineuse de Jeanne Crousaud (Arthur), tandis qu’Erminie Blondel (Agnès) et Marie Gautrot (La Nonne) impressionnent par leur technique et leur engagement sans faille.
Autour de ce plateau vocal réjouissant, la direction de Paul-Emmanuel Thomas apparaît parfois trop doucereuse, mais se délecte des moindres inflexions musicales en allégeant subtilement les textures, au bénéfice d’une ligne claire et aérienne. Un travail probe et précis, qui donne beaucoup de tenue à cette exhumation lyrique, porté par un Opéra de Saint-Étienne décidément très audacieux en matière de programmation, après nous avoir régalé du rarissime Andromaque de Grétry, en début d’année.
On espère que les incertitudes économiques nationales et internationales, rappelées par les choristes en grève au début du spectacle, ne viendront pas mettre à mal le travail remarquable mené à Saint-Étienne dans le domaine lyrique.
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