On ne saurait trop conseiller de se précipiter pour réserver ce
spectacle en tout point réussi, donné en ce moment au Théâtre de
l’Athénée, puis en tournée dans toute la France : plusieurs dates
complémentaires seront bientôt annoncées sur le site des Frivolités parisiennes, afin de permettre au plus grand nombre de se replonger avec bonheur dans les contes bien connus de notre enfance.
La partition originale en quatre actes appartient au genre à grand
spectacle de la féerie lyrique, dont les dimensions étendues et
l’invention narrative ne la destinaient en rien au jeune public. Créés
en 1913, Les Contes de Perrault bénéficient alors de moyens considérables en termes de décors et de costumes, à l’instar d’Offenbach dans les années 1870, du Roi Carotte (voir la production lyonnaise reprise en 2019) au Voyage dans la Lune (voir à Marseille en 2021).
Alors au sommet d’une prolifique carrière en des genres variés, Félix
Fourdrain (1880‑1923) surprend en se tournant vers une musique légère et
virevoltante, admirablement orchestrée. Si le langage ne cherche pas à
innover, en évoquant le raffinement harmonique de Massenet ou l’esprit
piquant de Messager, le plaisir est toujours au rendez‑vous, du fait
d’une inspiration mélodique exquise dans chacune des courtes vignettes
proposées. Le site de référence de la comédie musicale ECMF permet d’écouter un enregistrement historique de la RTF, réalisé en 1952.
On doit à l’infatigable curiosité de Christophe Mirambeau, conseiller
musical et artistique des Frivolités parisiennes, la résurrection de cet
ouvrage au livret cocasse, qui mélange près d’une dizaine de contes
célèbres pour inventer un pont inattendu entre eux, à la manière de la
comédie musicale américaine Into the Woods
(1986) de Stephen Sondheim. Si le récit élaboré n’atteint pas le même
degré de profondeur que celui de Sondheim, il touche au but par sa
fantaisie lumineuse et ses dialogues finement ciselés. S’il n’est pas
nécessaire de réviser les contes pour apprécier le spectacle, la
relecture préalable s’avère utile pour comprendre toutes les allusions
distillées au fur et à mesure.
La difficulté de ce répertoire consiste à réunir des interprètes rompus au double exercice de l’excellence théâtrale et vocale, ce qu’y est ici réussi au‑delà de toutes espérances. Parmi les rôles très sollicités au niveau vocal, Anaïs Merlin se distingue par sa fraîcheur et son engagement éloquent, faisant valoir un timbre superbe et une émission aérienne. A ses côtés, Enguerrand De Hys n’est pas en reste, en montrant une nouvelle fois toute sa classe interprétative dans la diction millimétrée et la souplesse des changements de registre. Ancienne élève de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, Julie Mathevet ravit elle‑aussi par le raffinement de ses phrasés, très en phase avec son rôle de fée. Plus tonitruant et sonore, Romain Dayez fait valoir sa fantaisie débridée en Olibrius, à l’instar de la toujours hilarante Lara Neumann, en belle‑mère revêche et délicieusement vulgaire. Tout ce petit monde est admirablement dirigé par Dylan Corlay, qui n’a pas son pareil pour se jouer des incessantes variations d’atmosphère, sans jamais forcer le trait.
La mise en scène très visuelle de Valérie Lesort ravira petits et grands, en ce qu’elle joue avec les images colorées et tout en perspective d’un album « pop‑up ». Autant l’imagination délirante des costumes que la direction d’acteur « mécanique » ravissent tout du long, en occasionnant plusieurs surprises et gags savoureux. On se plonge avec délice dans ce retour volontiers régressif à l’enfance, enveloppé des musiques non moins irrésistibles du méconnu Fourdrain, que l’on voudrait ne jamais vouloir finir d’entendre. Une chose est sûre : il faut faire confiance au flair de Christophe Mirambeau et de l’ensemble Les Frivolités parisiennes, toujours à l’affut de truculentes curiosités du répertoire lyrique !