jeudi 10 avril 2025

« Les Contes de Perrault » de Félix Fourdrain - Valérie Lesort - Théâtre de l'Athénée à Paris - 08/04/2025

On ne saurait trop conseiller de se précipiter pour réserver ce spectacle en tout point réussi, donné en ce moment au Théâtre de l’Athénée, puis en tournée dans toute la France : plusieurs dates complémentaires seront bientôt annoncées sur le site des Frivolités parisiennes, afin de permettre au plus grand nombre de se replonger avec bonheur dans les contes bien connus de notre enfance.

La partition originale en quatre actes appartient au genre à grand spectacle de la féerie lyrique, dont les dimensions étendues et l’invention narrative ne la destinaient en rien au jeune public. Créés en 1913, Les Contes de Perrault bénéficient alors de moyens considérables en termes de décors et de costumes, à l’instar d’Offenbach dans les années 1870, du Roi Carotte (voir la production lyonnaise reprise en 2019) au Voyage dans la Lune (voir à Marseille en 2021). Alors au sommet d’une prolifique carrière en des genres variés, Félix Fourdrain (1880‑1923) surprend en se tournant vers une musique légère et virevoltante, admirablement orchestrée. Si le langage ne cherche pas à innover, en évoquant le raffinement harmonique de Massenet ou l’esprit piquant de Messager, le plaisir est toujours au rendez‑vous, du fait d’une inspiration mélodique exquise dans chacune des courtes vignettes proposées. Le site de référence de la comédie musicale ECMF permet d’écouter un enregistrement historique de la RTF, réalisé en 1952.

On doit à l’infatigable curiosité de Christophe Mirambeau, conseiller musical et artistique des Frivolités parisiennes, la résurrection de cet ouvrage au livret cocasse, qui mélange près d’une dizaine de contes célèbres pour inventer un pont inattendu entre eux, à la manière de la comédie musicale américaine Into the Woods (1986) de Stephen Sondheim. Si le récit élaboré n’atteint pas le même degré de profondeur que celui de Sondheim, il touche au but par sa fantaisie lumineuse et ses dialogues finement ciselés. S’il n’est pas nécessaire de réviser les contes pour apprécier le spectacle, la relecture préalable s’avère utile pour comprendre toutes les allusions distillées au fur et à mesure.


La difficulté de ce répertoire consiste à réunir des interprètes rompus au double exercice de l’excellence théâtrale et vocale, ce qu’y est ici réussi au‑delà de toutes espérances. Parmi les rôles très sollicités au niveau vocal, Anaïs Merlin se distingue par sa fraîcheur et son engagement éloquent, faisant valoir un timbre superbe et une émission aérienne. A ses côtés, Enguerrand De Hys n’est pas en reste, en montrant une nouvelle fois toute sa classe interprétative dans la diction millimétrée et la souplesse des changements de registre. Ancienne élève de l’Atelier lyrique de l’Opéra de Paris, Julie Mathevet ravit elle‑aussi par le raffinement de ses phrasés, très en phase avec son rôle de fée. Plus tonitruant et sonore, Romain Dayez fait valoir sa fantaisie débridée en Olibrius, à l’instar de la toujours hilarante Lara Neumann, en belle‑mère revêche et délicieusement vulgaire. Tout ce petit monde est admirablement dirigé par Dylan Corlay, qui n’a pas son pareil pour se jouer des incessantes variations d’atmosphère, sans jamais forcer le trait.

La mise en scène très visuelle de Valérie Lesort ravira petits et grands, en ce qu’elle joue avec les images colorées et tout en perspective d’un album « pop‑up ». Autant l’imagination délirante des costumes que la direction d’acteur « mécanique » ravissent tout du long, en occasionnant plusieurs surprises et gags savoureux. On se plonge avec délice dans ce retour volontiers régressif à l’enfance, enveloppé des musiques non moins irrésistibles du méconnu Fourdrain, que l’on voudrait ne jamais vouloir finir d’entendre. Une chose est sûre : il faut faire confiance au flair de Christophe Mirambeau et de l’ensemble Les Frivolités parisiennes, toujours à l’affut de truculentes curiosités du répertoire lyrique !

lundi 7 avril 2025

« Romeo + Julia » d'après Serge Prokofiev - Marcos Morau - Opéra des Flandres à Anvers - 05/04/2025

Plus grande compagnie de danse de Belgique, le Ballet des Flandres poursuit sa collaboration avec les chorégraphes majeurs de son temps, de Sidi Larbi Cherkaoui (voir L'Oiseau de Feu en 2017) à Anne Teresa de Keersmaeker (voir Mozart/Concert Aria's en 2022), en passant par Akram Khan (voir Giselle en 2018). Place cette fois au trublion catalan Marcos Morau (né en 1982), qui peine à donner un contenu porteur de sens à son spectacle, mais émerveille par son imagination visuelle d’une modernité toujours fascinante dans l’imbrication improbable des corps entremêlés.

Formé à Barcelone où il dirige sa propre compagnie "La Veronal", Marcos Morau a multiplié les récompenses prestigieuses, du Prix national de la danse en Espagne au titre de «Chorégraphe de l’année» décerné par le magazine allemand Tanz, l’an passé. Invité à l’Opéra de Lyon en 2022, il a proposé une adaptation pour le moins controversée de l’un des chefs d’oeuvre du répertoire, La Belle au bois dormant de Tchaïkovski : en réduisant l’ouvrage de moitié, Morau s’était permis de supprimer l’histoire originale et d’y adjoindre de (trop) nombreux bruitages électroniques. Ces derniers sont encore présents ici, entre prédominance du synthétiseur et basses assourdissantes, mais sont heureusement plus limités. Ces interruptions répétitives et anxiogènes apparaissent bien inutiles et prévisibles sur la durée, sans parvenir à faire oublier les regrettables coupures opérées sur la musique originale. Le choix de ne pas raconter l’histoire de Roméo et Juliette est également contestable, tant Morau peine à proposer une alternative lisible, se contentant de multiplier les scènes d’humiliation et de violence, sans dramaturgie élaborée. C’est là le principal écueil du spectacle, une nouvelle fois. 

On a beau se reporter au programme pour tenter de trouver un sens, l’effort est vain. On n’y trouve qu’un glossaire accumulant les raccourcis en forme d’images d’Epinal, censé guider le spectateur dans le cauchemar proposé. Il faut donc lâcher prise de ce point de vue pour pleinement apprécier le spectacle, aux qualités plastiques bien réelles. Morau a ainsi l’idée de nous plonger dans un décor et des costumes en noir et blanc d’une beauté intemporelle, en renouvelant les cadrages au gré de l’évolution des courtes saynètes finement ciselées par Prokofiev. La pénombre envoûtante permet de distinguer les corps virevoltant en des gestes souvent saccadés, jouant sur les mouvements des bras et de la tête, à rebours d’une vision classique de la danse. Les costumes permettent de rompre avec les repères habituels entre les sexes (les hommes étant souvent affublés de robes), tandis que la coloration générale sombre ne cherche pas à distinguer les deux camps en présence, entre Capulet et Montaigu. L’ajout de deux personnages juvéniles reste énigmatique, au-delà d’une vision convenue de l’innocence prêtée à l’enfance, sans lien avec le destin de Roméo et Juliette. Outre plusieurs cris, les danseurs se prêtent souvent à des rires obsessionnels, là aussi incompréhensibles au niveau dramaturgique, et finalement agaçants. Les images de rituels ou de rites d’initiation autour d’un immense brasier sont plus réussies, à l’instar des mouvements autour du podium et du plateau tournant, mêlées à une utilisation astucieuse des costumes (notamment les grandes robes rigides cachant les pieds).

On ressort de ce spectacle avec la sensation d’avoir assisté à une proposition d’une modernité frappante au niveau visuel, mais qui s’en tient là, sans s’intéresser au fond. Puisse Morau enfin s’intéresser au sens, au-delà de quelques vignettes aussi superbes que superficielles, bien éloignées des grands mythes auxquels il ose se confronter. Reste l’exécution proprement dite au niveau chorégraphique, en tout point remarquable de cohésion, et d’autant plus impressionnante qu’elle demande un engagement physique de chaque instant, où le groupe ne semble parfois plus faire qu’un. L’autre motif de satisfaction vient de la direction musicale du chef britannique Gavin Sutherland (né en 1972), très attentif à la narration, qui porte le drame de toute sa classe interprétative.