Le metteur en scène
suisse Dorian Rossel propose une nouvelle adaptation du manga « Quartier
lointain », de Jirō Taniguchi,
cette fois-ci au théâtre. Autour d’une vision burlesque, il
construit un spectacle particulièrement enjoué, adapté à tous les
publics, jeunes et moins jeunes.
Avec déjà pas moins d’une dizaine d’albums parus en France,
le Japonais Jirō Taniguchi est devenu l’un des auteurs de manga
incontournable de ces quinze dernières années. Avec sa
ligne claire et sobre, ses histoires humanistes et universelles
autour des petits riens du quotidien, le dessinateur s’est notamment
imposé au Festival d’Angoulême en 2003 en recevant le prix
du Meilleur Scénario et le prix Canal B.D. attribué par les
libraires spécialisés. Il n’est donc pas étonnant que l’un de ses
ouvrages les plus réussis, Quartier lointain,
ait déjà fait l’objet d’une adaptation cinématographique par
Sam Garbarski l’an passé, puis au théâtre en 2008 avec la Cie S.T.T.
(Super trop top) basée à Lausanne et son jeune
metteur en scène attitré Dorian Rossel.
L’adaptation de Rossel se révèle très fidèle à l’ouvrage original,
mélange de récit fantastique et initiatique autour de l’histoire d’un
homme mûr qui retourne sur les lieux de son enfance, et
se réveille trente ans en arrière à l’âge de 14 ans. Le héros va
alors revivre tous les évènements de sa jeunesse et tenter d’en modifier
le cours, particulièrement l’abandon soudain
et inattendu par son père du domicile familial.
Une mise en scène qui privilégie le burlesque
Admirateur de Peter Brook, le metteur en scène helvétique choisit
de coller à la sobriété du dessin de Taniguchi avec l’utilisation de la
scène nue, seulement parcourue par quelques
éléments de décor qui se réinventent en permanence au gré des
mouvements des comédiens – quand ce ne sont pas les comédiens eux-mêmes
qui les miment malicieusement. Seule la pièce de vie
commune à toute la famille est représentée en fond de scène tel un
plan fixe de cinéma, avant d’éclater littéralement au moment du drame.
Dorian Rossel multiplie les angles de vue, de l’arrière-plan au
premier plan, de haut en bas par le biais d’une caméra, et opte ainsi
pour une vision ludique du manga de Taniguchi. Dans
cette chorégraphie énergique et burlesque, les interprètes sont
mis à contribution avec des rôles multiples intervertis à profusion, tel
le jeune héros incarné par plusieurs comédiens,
homme ou femme. Seul son double âgé est principalement joué par un
acteur, le chevronné Mathieu Delmonté, très à l’aise dans ce subtil jeu
de miroir sur soi. Outre les rôles alternés et la
valse des décors, les autres comédiens jonglent habilement entre
l’action et la narration, omniprésente.
Un débit lent peu habité
La dernière partie de la pièce apparaît toutefois moins aboutie,
particulièrement la scène cruciale où le fils accepte le départ de son
père vers d’autres horizons, qui pèche par un débit lent
peu habité. On regrette aussi une accélération malvenue du récit
au moment des retrouvailles du héros avec sa femme et ses deux filles,
au terme de son long cheminement initiatique.
Fort heureusement, ces quelques défauts sont compensés par un
accompagnement musical très réussi, avec deux interprètes qui varient
les instruments pour composer un paysage tour à tour
mystérieux, facétieux et lumineux. Autour de silences aussi
subtils que soudains, ces différentes atmosphères évoquent admirablement
la délicate poésie de l’œuvre de Taniguchi.
Au final, Dorian Rossel compose un spectacle dont la réussite
repose sur une inventivité visuelle et une intensité physique de tous
les instants. Merveilleux conteur, particulièrement à
l’aise dans le brio comique, il peine cependant à émouvoir lors
des scènes dramatiques. Cette réserve mise à part, on ne peut que vous
inciter à courir applaudir ce spectacle en
famille.
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