À Avignon, il faut
savoir quitter les murailles du centre‑ville * pour découvrir le
théâtre de l’Entrepôt, lieu bohême chaleureux
qui accueille la compagnie Gazoline. Une équipe de passionnés qui
défend brillamment l’univers du sulfureux Mark Ravenhill.
Quatre artistes ratés. Des amis qui ne se sont jamais vraiment
quittés, ballotant de petits projets de rue en soirées junkie, promenant
leur quotidien dans l’errance de l’instant. Ne manque à
ce petit groupe que celle qui a réussi, celle dont on ne prononce
même pas le prénom. De rancœurs en jalousie, ils la détestent, mais
acceptent son invitation à se revoir, à partager les
délices de la piscine, symbole de sa réussite. Quand survient
l’accident, l’hésitation est brève. Tiennent‑ils là leur revanche ?
Inspiré de la biographie de la célèbre photographe Nan Goldin, ce
récit à l’humour noir ravageur, aux contrepieds corrosifs ou absurdes,
interroge les fondements de l’amitié à travers
l’épreuve du temps. La narration se déploie, interrompue par
l’action, avant de reprendre rapidement ses droits dans une langue vive
et haletante. L’auteur Mark Ravenhill, enfant terrible
du théâtre britannique, excelle dans ce ton brillant, où crudités
et provocations réveillent les sens pour mieux affûter la compréhension.
On se souvient notamment de Shopping
& Fucking, ou plus récemment de Some Explicit Polaroids, dénonciation brillante de la société de consommation.
De multiples facettes
Créée en France en 2010 à Alfortville dans une sobre et intense mise en scène de l’excellent Christian Benedetti, Piscine [Pas d’eau]
nous revient pour le Off à Avignon
dans la mise en scène de Cécile Auxire‑Marmouget. Elle opte pour
des choix radicalement différents mais tout aussi efficaces, qui
intensifient la noirceur du propos au détriment de
l’humour au moyen d’une narration à deux voix. À leurs côtés, les
autres personnages sont réduits à d’autres fonctions essentielles et
savoureuses. On se délecte ainsi des interventions
comiques de Pierre Mélé (également auteur d’une très riche
scénographie, qui bénéficie de sa complicité avec le photographe
Henri Granjean) ou de la grâce féline de
Caroline Lhuillier‑Combal qui balance entre indifférence subtile
et hauteur de vue. Entre guitare et chemise hawaïenne, David Suissa
assure la partie musicale très réussie, qui impose
des césures brèves et bienvenues.
Mais c’est aussi dans les deux rôles principaux que réside tout
l’équilibre de ce projet collectif. Cécile Auxire‑Marmouget surprend par
sa phénoménale énergie et capte le public dès sa
première intervention. À peine aurait‑on aimé quelques
respirations supplémentaires dans son jeu. Mais ça n’est là qu’un détail
tant la comédienne a de la ressource. À ses côtés, un impeccable
Christophe Mirabel parachève la belle réussite d’une équipe
cohérente et soudée, qui n’hésite pas à partager un verre avec le public
après le spectacle, et dont on attend déjà avec
impatience le prochain projet.
* Cinq minutes à pied de l’entrée de la ville au sud, près de la gare.
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