Fréhel, vous savez, cette chanteuse d’avant Piaf ? Étoile filante aux ailes abîmées par les drogues, amoureuse éperdue de
Maurice Chevalier. Une immense Myriam Boyer lui redonne vie, dans toute sa force et sa fragilité.
Myriam Boyer |
Une carte postale qui évoque la Riviera. Une vieille femme la
regarde tous les jours dans son meublé minable de Montmartre. Cette
promesse d’ailleurs, d’une vie meilleure, n’est pas
l’espoir de quitter la misère pour rejoindre les palaces de la
côte. C’est celui de retrouver l’homme aimé, jamais oublié, celui qui,
au soir de sa vie, fait rêver la chanteuse Fréhel une
dernière fois. Maurice Chevalier, cet amour de jeunesse si vite
perdu, se tient là dans la pénombre. À peine visible, il lui demande si
sa valise est prête.
Fréhel, grande chanteuse du répertoire « réaliste » des
années 1910-1920, a vécu. À cent à l’heure. Alcool, cocaïne, rien ne
l’épargne. D’une brève relation avec
Maurice Chevalier, l’interprète de la Java bleue ne se
remet jamais vraiment. Rapatriée de Turquie dans un état pitoyable en
1923, Fréhel remonte sur les scènes puis
tourne au cinéma, avec Jean Renoir notamment, mais son physique ne
se remet pas de ce déclin. Elle est considérablement empâtée, sa vie
sentimentale est un échec, sa fin de vie un
désastre.
Lumineuse Myriam Boyer
De ce riche matériau, le texte d’Emmanuel Robert‑Espalieu choisit
de ne retenir que la dernière partie crépusculaire, celle de la
déchéance et des derniers espoirs de la chanteuse. Les
dialogues savoureux qui s’installent entre Fréhel et
Maurice Chevalier, ou avec la jeune Paulette, nous ramène à ce Paris
populaire d’après‑guerre, dans une langue vive, spontanée,
sans faux‑semblants.
Peu de péripéties, peu d’action. La chanson elle‑même n’est pas si
présente, juste évoquée comme un souvenir qui s’échappe de l’esprit
vieillissant de la chanteuse. Une seule présence suffit à
illuminer le texte. Myriam Boyer, de sa voix grave imposante,
donne à son personnage une humanité fragile et robuste à la fois, tel un
monument prêt à sombrer. Cette force intérieure, ce
ton juste impressionne. Le caractère et la folie lumineuse de
Fréhel sont là, sous nos yeux. À ses côtés, ses deux jeunes partenaires
apportent la réplique, et fort bien. Mais on ne voit
qu’elle. Myriam est Fréhel.
Une aura de mystère
Impossible dans ce jeu hypnotique de déceler les infimes
subtilités de la mise en scène de Gérard Gelas, le fondateur du Théâtre
du Chêne‑Noir. Les variations d’éclairage apportent
une aura de mystère aux apparitions de Maurice Chevalier, tandis
que la scénographie légère évoque la misère affective et matérielle de
Fréhel. Ces sobres moyens, efficaces et élégants,
sonnent juste. Comme la comédienne. Myriam Boyer, un oiseau rare
si précieux qui fait revivre « l’inoubliable inoubliée », aussi bien
pour les amoureux de la chanteuse que pour
le portrait touchant d’une vieille dame qui ose rêver encore.
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