Comme chaque année,
le Festival de Prades est « le » rendez-vous incontournable des amateurs
de musique de chambre. En résidence
pour l’été, l’excellent Talich Quartet nous offre un précieux
programme de « grands quatuors » pour fêter ses cinquante ans
d’existence.
On doit la création du Festival de Prades à Pablo Casals,
l’un des plus grands virtuoses du violoncelle au xxe siècle.
Personnalité engagée autour des idéaux de la
démocratie, le Catalan s’oppose vivement au nazisme en refusant de
se produire en Allemagne dès 1933, puis dans son propre pays lorsque la
dictature franquiste s’impose à partir
de 1939. Dès lors, Casals se mure dans un profond silence,
refusant toutes les invitations à jouer, et s’installe tout près de la
frontière espagnole dans la charmante sous-préfecture
de Prades (à 45 km de Perpignan), aidant ses nombreux compatriotes
réfugiés * dans la région.
Casals ne sort de son silence musical qu’en 1950, convaincu par
ses amis de fêter le bicentenaire de la mort de Jean‑Sébastien Bach : le
Festival Pablo‑Casals à Prades
est né. La manifestation, qui n’était pourtant pas destinée à se
renouveler, devient annuelle, se spécialisant dans la promotion de la
musique de chambre. Rien d’étonnant à cela, tant Casals
s’est admirablement illustré dans ce répertoire avec le pianiste
Alfred Cortot et le violoniste Jacques Thibaud. Figurant parmi les plus
anciens festivals de musique d’Europe, Prades
accueille chaque année la fine fleur des instrumentistes, dont
cette année les quartettes Artis et Talich en résidence.
Un Mendelssohn inhabituellement sombre
C’est précisément la formation tchèque que l’on retrouve pour un
concert consacré aux grands quatuors du répertoire. Un évènement un peu
particulier puisqu’il s’agit de fêter le
cinquantième anniversaire de cet ensemble, créé en 1964
par Jan Talich, neveu du célèbre chef d’orchestre Václav Talich.
Entièrement renouvelé en 1990, le quartette est
désormais mené par le fils de son fondateur, Jan Talich Junior, au
premier violon. Dans la magnifique abbaye de Saint-Michel de Cuxa, aux
délicates arcades de marbre rose, les
quatre hommes commencent leur programme par le dernier quatuor de
Felix Mendelssohn (1809-1847). Un des tout derniers chefs-d’œuvre du
grand maître allemand, composé peu de temps
après le décès de sa sœur Fanny, où Mendelssohn se laisse porter
vers des teintes sombres inhabituelles chez lui, dévoilant une
profondeur d’inspiration bouleversante.
Les Talich abordent cet opus avec une remarquable cohésion,
refusant toute folie interprétative pour privilégier une vision
objective d’une précision redoutable. Entre délicatesse et
intériorité, toute effusion est systématiquement refusée au profit
d’une pudeur à la violence sourde, capable de se déchaîner dans un
finale virtuose mené à un tempo d’enfer. Une même optique
est adoptée pour le Quatuor nº 8 de Chostakovitch, d’une
ampleur quasi symphonique. Aux scansions dramatiques du début répondent
les superbes passages suspendus où
l’éventail de couleurs de l’alto fait merveille. Un altiste
volontiers malicieux lorsqu’il se tourne vers l’assistance, prenant un
réel plaisir à jouer devant ce public de connaisseurs.
Avec Bedřich Smetana, le tempo retenu fait place à une lisibilité
un rien trop analytique, mais qui parvient à captiver par ses césures
bien marquées, autour d’une lecture qui ne surjoue
jamais le drame dans son autorité radieuse. Là encore, l’œuvre
fait place au tragique, le compositeur tchèque l’ayant écrite alors que
sa surdité devenait, comme Beethoven, définitive. Résumé
de sa vie, ce quatuor fait également place à un lyrisme débordant
dans les premiers mouvements, à la veine mélodique irrésistible.
En bis, les Talich jouent la décontraction et l’humour
avec une œuvre de Piazzola aux airs de tango, avant d’entonner
d’irrésistibles variations sur le thème de
l’anniversaire, provoquant l’hilarité du public. Une conclusion
joyeuse pour ces habitués fidèles du Festival Pablo-Casals.
* On pourra lire à ce sujet les différents romans en grande partie autobiographiques de l’écrivain Michel del Castillo, dont le poignant Tanguy (Folio, 1957).
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