Vainberg, Vaynberg ou Weinberg? Autant de patronymes différents pour un
même compositeur dont le nom d’origine polonaise Mieczyslaw Weinberg
(1919-1996) parvient enfin à s’imposer largement, en écho au destin
tragique de ce natif de Varsovie. Ayant fui l’invasion allemande à
seulement vingt ans pour rejoindre l’URSS, Weinberg subit très tôt la
perte de la quasi-totalité de sa famille d’origine juive, exterminée par
les nazis. Le «traumatisme du survivant» restera présent tout au long
de sa carrière dans ses œuvres, aux références juives constantes. Son
abondante production – sept opéras (dont Le Portrait), vingt-deux Symphonies, dix-sept Quatuors à cordes...
– est admirée de Chostakovitch, de treize ans son aîné, avec lequel il
entretient une amitié durable fondée sur une estime réciproque et une
émulation certaine – le célèbre compositeur russe n’hésitera pas à lui
dédier son Dixième Quatuor en 1964.
Une passionnante redécouverte de l’œuvre de Weinberg s’opère depuis bientôt dix ans, date à laquelle la célébration de l’anniversaire de sa mort avait permis l’opportune réédition d’un disque consacré aux Quatrième et Sixième Symphonies, enregistrées par rien moins que Kirill Kondrachine (Melodiya). Dans le même temps, une version de concert permettait la création à Moscou de son tout premier opéra, La Passagère, resté inédit depuis 1966. Il aura fallu attendre 2010 pour assister à la première création scénique au festival de Bregenz, dans une mise en scène de David Pountney – un événement capté en DVD et repris à Londres l’année suivante puis en 2014 à Houston et à New York et tout récemment à Chicago – excusez du peu.
Outre une production à Karlsruhe l’an passé, cet opéra est donné à Francfort en ce début d’année en version allemande, avec quelques parties chantées en polonais ou en français – ceci en hommage aux différentes nationalités présentes dans le camp d’Auschwitz, où se déroule une partie de l’action. Weinberg choisit en effet d’adapter le récit autobiographique de Zofia Posmysz, également portée à l’écran par le cinéaste Andrzej Munk. Toute la force de cette histoire consiste dans l’originalité du point de vue, la narration étant conduite par l’ancien bourreau et non par la victime. Le récit prend ainsi place après la Seconde Guerre mondiale sur un paquebot qui vogue vers le Brésil. En compagnie de son mari Walter, un éminent diplomate, Lisa croit reconnaître Marta, une ancienne détenue d’Auschwitz, puis hésite à lui révéler son passé d’ancienne kapo allemande.
S’en suit un aller-retour permanent entre le présent perturbé et le passé douloureux, sous la forme d’un double huis clos étouffant entre le bateau et le camp. Contrairement à la mise en scène de David Pountney qui avait choisi de faire surplomber le camp par le bateau, Anselm Weber choisit d’utiliser un même décor pour figurer, au moyen d’un plateau tournant, tantôt la coupe étroite d’un bateau où les personnages errent sur les coursives, tantôt un vaste camp où ces coursives deviennent les escaliers permettant d’accéder aux miradors. L’étroitesse même de l’espace accordé au bateau contraste avec l’immensité du camp, occupée par le chœur des femmes grimées en codétenues, en une représentation réaliste. Mais c’est bien l’impasse psychologique de Lisa, prisonnière de son passé, que figure ici Anselm Weber dans ce jeu sur les espaces. C’est encore ce même camp qui servira pour la scène finale du bal sur le bateau, en un effet de miroir saisissant. Une autre idée marquante à souligner est l’utilisation de la sirène pour effectuer le décomptage des femmes appelées à mourir, rendant plus bouleversant encore ce passage.
Si l’Ouverture surprend d’emblée avec ses percussions très sollicitées, d’une violence rythmique sauvage, la musique s’apaise autour de Lisa et Walter – Weinberg accompagnant le lyrisme de ce dernier par des longs motifs naïfs et boursouflés (aux emprunts jazzy), en contraste avec les hésitations de Lisa, plus statique et inconsistante au niveau musical. La musique se fait plus aride lors des scènes à Auschwitz, refusant toute mélodie pour une verticalité rythmique s’appuyant sur les percussions et les cuivres, le chœur grondant en coulisses de manière inquiétante. Weinberg offre davantage de variété au deuxième acte, empruntant à Chostakovitch ses longues phrases sinueuses et mystérieuses, tandis que l’on perçoit de lointains échos de Britten dans l’impétuosité des vents. Autour de cordes désormais plus présentes, l’air de Marta surprend par sa douce nostalgie – un air il est vrai magnifié par une bouleversante Sara Jakubiak, très à l’aise vocalement dans ce rôle. A ses côtés, Brian Mulligan (Tadeusz) fait l’étalage d’un timbre séduisant, tandis que Peter Marsh (Walter) offre une belle éloquence. Si Tanja Ariane Baumgartner (Lisa) se laisse parfois un peu couvrir par l’orchestre, elle compense par un engagement certain tout au long de la représentation. Dans la fosse, Leo Hussain exalte les contrastes rythmiques de Weinberg, malheureusement au détriment de certains passages plus lyriques.
Une soirée réussie autour d’une salle comble pour la dernière – un public sans doute attiré par l’excellent bouche à oreille qui avait précédé cette production. On pourra retrouver un autre opéra de Weinberg à Mannheim, à quelques encablures de Francfort, en juillet prochain. La production de L’Idiot, donnée voilà deux ans, y sera reprise sous la baguette de Joseph Trafton.
Une passionnante redécouverte de l’œuvre de Weinberg s’opère depuis bientôt dix ans, date à laquelle la célébration de l’anniversaire de sa mort avait permis l’opportune réédition d’un disque consacré aux Quatrième et Sixième Symphonies, enregistrées par rien moins que Kirill Kondrachine (Melodiya). Dans le même temps, une version de concert permettait la création à Moscou de son tout premier opéra, La Passagère, resté inédit depuis 1966. Il aura fallu attendre 2010 pour assister à la première création scénique au festival de Bregenz, dans une mise en scène de David Pountney – un événement capté en DVD et repris à Londres l’année suivante puis en 2014 à Houston et à New York et tout récemment à Chicago – excusez du peu.
Outre une production à Karlsruhe l’an passé, cet opéra est donné à Francfort en ce début d’année en version allemande, avec quelques parties chantées en polonais ou en français – ceci en hommage aux différentes nationalités présentes dans le camp d’Auschwitz, où se déroule une partie de l’action. Weinberg choisit en effet d’adapter le récit autobiographique de Zofia Posmysz, également portée à l’écran par le cinéaste Andrzej Munk. Toute la force de cette histoire consiste dans l’originalité du point de vue, la narration étant conduite par l’ancien bourreau et non par la victime. Le récit prend ainsi place après la Seconde Guerre mondiale sur un paquebot qui vogue vers le Brésil. En compagnie de son mari Walter, un éminent diplomate, Lisa croit reconnaître Marta, une ancienne détenue d’Auschwitz, puis hésite à lui révéler son passé d’ancienne kapo allemande.
S’en suit un aller-retour permanent entre le présent perturbé et le passé douloureux, sous la forme d’un double huis clos étouffant entre le bateau et le camp. Contrairement à la mise en scène de David Pountney qui avait choisi de faire surplomber le camp par le bateau, Anselm Weber choisit d’utiliser un même décor pour figurer, au moyen d’un plateau tournant, tantôt la coupe étroite d’un bateau où les personnages errent sur les coursives, tantôt un vaste camp où ces coursives deviennent les escaliers permettant d’accéder aux miradors. L’étroitesse même de l’espace accordé au bateau contraste avec l’immensité du camp, occupée par le chœur des femmes grimées en codétenues, en une représentation réaliste. Mais c’est bien l’impasse psychologique de Lisa, prisonnière de son passé, que figure ici Anselm Weber dans ce jeu sur les espaces. C’est encore ce même camp qui servira pour la scène finale du bal sur le bateau, en un effet de miroir saisissant. Une autre idée marquante à souligner est l’utilisation de la sirène pour effectuer le décomptage des femmes appelées à mourir, rendant plus bouleversant encore ce passage.
Si l’Ouverture surprend d’emblée avec ses percussions très sollicitées, d’une violence rythmique sauvage, la musique s’apaise autour de Lisa et Walter – Weinberg accompagnant le lyrisme de ce dernier par des longs motifs naïfs et boursouflés (aux emprunts jazzy), en contraste avec les hésitations de Lisa, plus statique et inconsistante au niveau musical. La musique se fait plus aride lors des scènes à Auschwitz, refusant toute mélodie pour une verticalité rythmique s’appuyant sur les percussions et les cuivres, le chœur grondant en coulisses de manière inquiétante. Weinberg offre davantage de variété au deuxième acte, empruntant à Chostakovitch ses longues phrases sinueuses et mystérieuses, tandis que l’on perçoit de lointains échos de Britten dans l’impétuosité des vents. Autour de cordes désormais plus présentes, l’air de Marta surprend par sa douce nostalgie – un air il est vrai magnifié par une bouleversante Sara Jakubiak, très à l’aise vocalement dans ce rôle. A ses côtés, Brian Mulligan (Tadeusz) fait l’étalage d’un timbre séduisant, tandis que Peter Marsh (Walter) offre une belle éloquence. Si Tanja Ariane Baumgartner (Lisa) se laisse parfois un peu couvrir par l’orchestre, elle compense par un engagement certain tout au long de la représentation. Dans la fosse, Leo Hussain exalte les contrastes rythmiques de Weinberg, malheureusement au détriment de certains passages plus lyriques.
Une soirée réussie autour d’une salle comble pour la dernière – un public sans doute attiré par l’excellent bouche à oreille qui avait précédé cette production. On pourra retrouver un autre opéra de Weinberg à Mannheim, à quelques encablures de Francfort, en juillet prochain. La production de L’Idiot, donnée voilà deux ans, y sera reprise sous la baguette de Joseph Trafton.
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