Entendre Vanessa, chef-d’œuvre lyrique de Samuel Barber
(1910-1981), n’est pas si fréquent sur les scènes européennes: c’est là
une constante depuis la création de cet ouvrage en 1958 (et aujourd’hui
donné dans sa version définitive de 1964) à New York, loin de
l’avant-garde musicale alors en vogue autour de Pierre Boulez et des
tenants de son esthétique sur le vieux continent. En France, la création
de l’ouvrage devra ainsi attendre l’initiative heureuse de l’Opéra de
Metz en 2014 pour tenter de convaincre les récalcitrants, encore nombreux de nos jours. Pour autant, Vanessa
ne manque pas d’atouts grâce aux talents d’orchestrateur de Barber,
tout autant que son inspiration néo-puccinienne savamment dosée entre
sucré emphatique et légères dissonances, alors que les premières notes
confiées au tourbillon irrésistible des vents évoquent le début de La Bohème.
On pense aussi à l’excellent livret de son compagnon Gian Carlo
Menotti, qui rappelle autant Tchekhov qu’Ibsen dans la mise en valeur
d’un huis clos étouffant où les personnages espèrent un avenir meilleur.
Francfort choisit en ce début de saison de programmer à nouveau, après
2012, un spectacle créé trois ans plus tôt à l’Opéra de Malmö sous la
houlette de Katharina Thoma. Le travail de l’Allemande, découvert en
France à Strasbourg avec La Clémence de Titus en 2015, nous avait beaucoup séduit l’an passé, ici même, en une rareté que l’on espère revoir programmée très vite: la Martha de Flotow. Une production réjouissante qu’annonçait déjà le sens du détail scénographique à l’œuvre dans cette production de Vanessa.
Katharina Thoma choisit en effet de symboliser le réel et les fantasmes
des héroïnes autour de deux mondes conjoints: le jardin d’hiver de
Vanessa accolé à une vaste banquise, mêlant ainsi naturalisme et
surnaturel, rappelant en cela les atmosphères troubles de La Dame du lac
d’Ibsen. C’est sur l’étendue glacée que les fantômes du passé, dont un
double d’Anatol, vont évoluer pendant l’action en un ballet étrange et
fascinant. Katharina Thoma suggère aussi que les trois femmes ne font en
réalité qu’une, à trois moments distincts de leur vie. La dernière
scène d’adieu de Vanessa à Erika prend ainsi un sens plus encore
tragique: c’est bien le passé qu’Erika semble revivre à travers le
miroir de ses illusions perdues.
Malgré cette mise en scène intéressante, le spectacle déçoit en fin de
compte, en grande partie en raison de la direction calamiteuse de Rasmus
Baumann (né en 1973). Non content de couvrir les chanteurs en de maints
endroits, il peine à mettre en valeur les mélodies sans cesse
interrompues et entrecroisées de Barber, qui se perdent ici en un fondu
grossier. Les interprètes, d’un bon niveau global, ne surnagent que
difficilement de ce traitement malheureux. Ainsi de la superbe Erika de
Jenny Carlstedt, à l’articulation fluide et aux graves charnus, qui
manque seulement d’un peu plus de puissance pour convaincre totalement.
Jessica Strong (Vanessa) est plus à l’aise de ce côté-là, compensant un
timbre qui manque parfois de substance par une diction soignée. Barbara
Zechmeister (La Baronne) assume correctement son rôle, de même que
l’impeccable Docteur de Dietrich Volle, tandis que Toby Spence (Anatol)
fait valoir son timbre clair au service d’une belle éloquence.
On espère que les deux reprises très attendues à Francfort l’an prochain, Une vie pour le tsar de Glinka et La Passagère de Weinberg, seront autrement plus réussies.
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