Comment démêler l’intrigue
particulièrement confuse du Simon Boccanegra de Verdi ? Pour répondre à
ce défi ardu auquel chaque metteur en scène est confronté, Calixto Bieito
choisit de botter en touche en imaginant un rôle-titre
psychologiquement détruit par la mort de sa compagne Maria et par
l’enlèvement de sa fille. Dès lors, la confusion du héros rejoint celle
de l’intrigue, en une suite d’événements et d’ellipses où Simon évolue
comme un pantin hagard et sans émotion : hanté par ce passé qui ne passe
pas, l’ancien corsaire devenu Doge de Gênes voit ainsi continuellement
roder autour de lui le fantôme de Maria sur la scène nue ou à travers la
gigantesque carcasse métallique de son ancien bateau – seul élément de
décor pendant tout le spectacle.
Symbole de son enfermement
psychologique, cette épave spectaculaire magnifiée par de splendides
éclairages est l’incontestable atout visuel de cette production très
réussie de ce point de vue, mais malheureusement trop intellectuelle et
répétitive dans ses partis-pris. Sans compenser le statisme à l’oeuvre,
les projections vidéos de plus en plus fréquente en arrière-scène
donnent à voir avec pertinence les divagations mentales de Simon, englué
dans des visions incohérentes. On pense plusieurs fois à quelques
images empruntées à Kubrick, notamment les errances de Simon et Maria
stylisées par les éclairages de l’épave, ou encore au Hitchcock des
visions psychédéliques de Vertigo (Sueurs froides). Quoi qu’il en soit,
malgré ces atouts formels, le travail de Calixto Bieito reçoit une salve
copieuse de huées en fin de représentation, suite logique de la
perplexité manifestée par une grande partie du public à l’entracte face à
cette abstraction résolument glaciale.
Fort heureusement, tout le reste du spectacle n’appelle que des éloges. A commencer par la fosse avec le trop rare Fabio Luisi
(Génois lui aussi) à Paris : un grand chef est à l’oeuvre et ça
s’entend ! Avec sa direction qui prend le temps de sculpter les moindres
raffinements orchestraux du Verdi de la maturité sans jamais perdre la
conduite du discours musical, on se surprend à imaginer le choc
stylistique qu’un tel ouvrage dû représenter à sa (re)création en 1881,
lorsque le Maitre italien fit son retour triomphal après plusieurs
années de silence. A l’instar de l’Orchestre de l’Opéra de Paris qui lui
réserve de chaleureux applaudissements en fin de spectacle, on espère
revoir très vite ce chef inspiré dans la capitale. A ses cotés, la plus
grande ovation est reçue par l’impérial Ludovic Tezier dans le
rôle-titre : dans la douleur comme dans les rares moments de fureur (la
scène du Conseil), il compose un Simon Boccanegra d’une grande humanité,
bien aidé par des phrasés aussi souples qu’aisés.
Les hommes sont particulièrement à la fête avec l’autre grande satisfaction de la soirée, la basse Mika Kares,
dont on aurait aimé son rôle de Jacopo plus développé encore, tant son
autorité naturelle et sa projection vibrante se mettent au service d’un
timbre splendide. On est aussi séduit par les couleurs et la variété
d’incarnation du Gabriele de Francesco Demuro, tandis que Nicola Alaimo et Mikhail Timoshenko
(le jeune chanteur mis en avant dans le beau documentaire L’Opéra en
2017) affichent des qualités vocales superlatives. Après des débuts
hésitants dus à une ligne vocale qui met à mal la justesse, Maria Agresta
se reprend pour aborder avec vaillance et musicalité un rôle à sa
mesure. De quoi compléter un plateau vocal quasi parfait, à même
d’affronter ce sombre Verdi, admirable diamant noir avant les deux
derniers chefs d’oeuvre élaborés à nouveau avec son compatriote Boito.
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