Retour attendu de
l’excellente production de « The Rape of Lucretia », déjà présentée en
2007 à l’Athénée après sa création à
Colmar en 2001. La jeune troupe épatante de l’Atelier lyrique
de l’Opéra national de Paris, tout comme les variations envoûtantes de
la musique de Britten, compensent les
faiblesses du livret.
Grosse affluence à l’Athénée mardi soir. Et pour cause : la venue
des jeunes chanteurs de l’Atelier lyrique de l’Opéra national de Paris
est un évènement à ne pas
manquer *. Surtout lorsqu’il prend place dans ce théâtre à
l’italienne de 570 places, situé dans le charmant square de l’Opéra à
deux pas du palais Garnier,
dont on admire plus encore à chaque représentation son idéal
rapport scène-public. Un cadre intimiste qui convient parfaitement au
premier « opéra de chambre » de
Benjamin Britten (1913-1975) dont seuls huit chanteurs et
treize instrumentistes sont requis pour en assurer l’exécution.
Une innovation voulue par le compositeur britannique après les
difficultés rencontrées pour monter son premier grand opéra Peter Grimes,
qui le décide à réunir une équipe
technique et artistique dédiée à l’accomplissement de son œuvre.
La création de l’English Opera Group en 1947 consacre cette volonté
autour de son compagnon fidèle, le ténor
Peter Pears, mais aussi de la jeune contralto Kathleen Ferrier.
C’est d’ailleurs pour cette dernière que Britten compose un an plus tôt
son troisième opéra
The Rape of Lucretia. Il y déploie ses habituelles qualités d’orchestrateur, obtenant des atmosphères variées et surprenantes qui annoncent
immanquablement son chef-d’œuvre le Tour d’écrou.
Un livret décevant
Si l’on peut regretter une inspiration mélodique un peu moins
heureuse, c’est surtout dû à un livret, assez statique pendant la sombre
première partie ou bancal en fin d’opéra avec l’ajout
d’un épilogue religieux maladroit. Mythe fondateur de Rome, le
viol de Lucretia par Tarquinius serait à l’origine du remplacement de la
monarchie par la république. Outre l’œuvre de
Shakespeare, Britten s’inspire d’une pièce française qui fait
intervenir deux narrateurs et commentateurs de l’action. Malgré un
intéressant effet de distanciation, le compositeur leur
accorde une présence trop importante qui multiplie les allusions
poético-philosophiques bavardes et antithéâtrales.
La mise en scène de Stephen Taylor choisit de s’appuyer sur ces
deux personnages en les faisant rôder autour d’un plateau tournant
réduit à deux panneaux. Les autres chanteurs
restent prisonniers de cet espace restreint qui semble les
empêcher d’imaginer autre chose que l’inéluctable. Les hommes s’ennuient
en glosant sur l’incapacité de trouver une compagne aussi
vertueuse que Lucretia, tandis que les femmes se languissent de
leurs promis. Taylor transpose l’action pendant la Seconde Guerre
mondiale, ce qui n’est pas un contresens au vu du contexte
de la composition et de la noirceur de l’œuvre.
L’ambiguïté de Lucretia
Il choisit d’étonnantes couleurs, un orange mural plutôt que le
rouge pour symboliser la souillure de l’héroïne ou le violet pour sa
robe de deuil. Il s’agit là sans doute de suggérer
l’ambiguïté de Lucretia face au plaisir finalement consenti à
Tarquinius. On retient aussi une scénographie astucieuse qui laisse
entrevoir le lieu du viol par un interstice indiscret entre les
deux panneaux, dévoilant le long voile de la honte qui conduit
Lucretia vers son geste fatal. Côté voix, l’ensemble du plateau réuni
convainc pleinement pendant toute la représentation,
tant sur le plan de la diction que de l’investissement scénique.
La grâce d’Agata Schmidt (dans le rôle-titre) fait mouche même si
l’on peut regretter une tessiture trop légère dans les graves. Tout le
contraire de l’impériale servante de
Cornelia Oncioiu qui donne à son timbre opulent et généreux
l’écrin délicat des plus grandes. On citera aussi les deux excellents
narrateurs, Andreea Soare, une artiste déjà
complète, et Oleksiy Palchykov, au phrasé subtil et raffiné. Dans
la fosse, l’ensemble musical Le Balcon bénéficie de la science rythmique
de son jeune chef Maxime Pascal,
nullement impressionné par les écueils de la partition de Britten.
Un compositeur que l’on retrouvera lors du festival qui lui est
consacré en avril 2014 à l’Opéra de Lyon, avec
notamment une rare et intéressante production de Curlew River, parabole inspirée d’une pièce japonaise de théâtre nô.
* Tout comme la venue, dans la même salle en juin, des jeunes artistes de l’Opéra Studio de l’Opéra national du Rhin. Ils se produiront dans deux œuvres rares de Gounod et Milhaud.
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