Qu’elles font du bien, ces soirées où tout avait pourtant si mal commencé ! Imaginez-donc un Roméo et Juliette
privé de ses deux rôles-titres, Jean-François Borras et Julie Fuchs,
testé positifs au Covid – sans parler des pupitres de trompettes et
trombones, également touchés ! Le nouveau directeur de l’Opéra-Comique
Louis Langrée, bien embarrassé face au public, ne pouvait imaginer pire
scénario pour ses débuts à la tête de l’institution. D’où vient pourtant
que le spectacle, malgré quelques relatives imperfections, fut une
incontestable réussite et saluée comme telle par un public dithyrambique
en fin de représentation ? Tout le crédit en revient à un jeune ténor
(tout droit venu de l’Opéra d’Amsterdam où il chantait la veille) du nom
de Pene Pati, natif de l’archipel des Samoa, et à l’aube,
manifestement, d’une grande carrière. Familier du rôle de Roméo, qu’il a
déjà chanté à San Francisco puis à Bordeaux, Pene Pati a fait tout récemment ses débuts à l’Opéra de Paris, en septembre dernier, dans la reprise de L’Elixir d’amour de Donizetti. On se reportera avec grand intérêt à l’entretien exclusif
qu’il a accordé à notre site, lors de son passage à Bordeaux, qui nous
apprend combien sa diction française proche de l’idéal doit aux bons
soins de sa femme, la très douée soprano Amina Edris.
On peut donc ne pas maîtriser la langue de Molière et s’en emparer avec
un amour des mots qui prend un relief tout particulier dans chaque
phrasé, sculpté au service du sens, faisant de chacune des interventions
de Pene Pati un moment qui captive littéralement. C’est bien le côté
solaire de l’interprète qui fascine, ce qui explique pourquoi on ne peut
s’empêcher de penser à lui lorsque son personnage s’écrit « Salut,
palais splendide et radieux ! ». Portée par un timbre suave, l’émission
est toujours souple et naturelle, d’une facilité déconcertante jusque
dans la voix de tête. Son souffle puissant lui permet aussi des tenues
de note d’une longueur à laquelle les chanteurs actuels ne nous ont
guère habitués, ce qui provoque plusieurs fois le frisson. On aime aussi
sa sensibilité dans les piani, d’une maturité d’intention
étonnante. Seul le médium peut sans doute encore être amélioré, mais ce
n’est là qu’un détail à ce niveau déjà superlatif.
Très enthousiaste au moment des saluts, entre sauts de cabri et bras
levés en l’air, Pene Pati a manifestement conquis le public par sa
chaleur humaine communicative. Il reçoit les félicitations du chef
Laurent Campellone, comme toujours impérial dans la fosse à force
d’attention aux rythmes et aux couleurs.
A leurs côtés, le soulagement était tout aussi palpable pour Perrine
Madoeuf, prisonnière du trac lors de ses premières réparties, en mal de
justesse. Fort heureusement, le tempérament dramatique vibrant de la
soprano lyonnaise (familière du rôle de Juliette, appris pour l’Opéra de
Tallinn) lui permet de faire oublier ses difficultés dans les passages
périlleux, où la ligne perd en stabilité dans le suraigu. Tout le reste
de la distribution, très homogène, donne beaucoup de plaisir vocal, au
premier rang desquels le Stéphano rayonnant d’Adèle Charvet ou le Frère
Laurent impressionnant de noblesse sereine de Patrick Bolleire. On aime
aussi la diction millimétrée et l’intelligence des phrasés de Jérôme
Boutillier (Le comte Capulet), même si le choix de chanter en première
partie de spectacle avec le masque (à l’instar des solistes du chœur,
Arnaud Richard et Julien Clément) interroge. On aurait préféré que ces
chanteurs privilégient un chant en bord de scène (Covid oblige), lors de
leurs interventions solistes, plutôt que de rester parmi les scènes de
groupe vibrionnantes voulues par Eric Ruf.
On retrouve en effet le sociétaire de la Comédie-Française aux commandes
de ce spectacle, adapté de sa mise en scène de la pièce éponyme de
Shakespeare, montée dans la salle Richelieu en 2015. C’est là un choix
autant « économique qu’écologique », comme Ruf le précise dans le
programme, qui fonctionne très bien tout du long. Comme à son habitude,
son travail reste d’un grand classicisme, porté par sa direction
d’acteur attentive aux moindres inflexions du drame. On pourrait
souhaiter davantage d’humour ici et là, et surtout davantage d’audaces à
la Pelly, mais cela ne mérite certainement pas les quelques huées
entendues à l’issue du spectacle. Notons encore les très beaux costumes
de Christian Lacroix, tout particulièrement la tenue mortuaire de
Juliette, conçue à partir des traditions siciliennes.
On retrouvera le couturier français en tant que metteur en scène de la très attendue production de La Vie parisienne, montée au Théâtre des Champs-Elysées à partir du 21 décembre prochain. En attendant, profitez des représentations de ce Roméo et Juliette admirablement interprété salle Favart, pour lequel il reste encore quelques places en billetterie.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire