dimanche 4 juillet 2021

« Elektra » de Richard Strauss - Michel Fau - Opéra de Toulouse - 02/07/2021

On a beau parcourir les maisons d’opéra depuis une vingtaine d’années à travers le pays et plus loin encore, force est de constater que certains ouvrages ne laissent pas d’impressionner l’insatiable curieux que je suis, repoussant leur découverte sur scène à un futur indéfini, mais toujours espéré. Dès lors, quand on parvient à briser ce plafond de verre pour assister à l’Elektra (1909) de Richard Strauss, en une production toulousaine proche de la perfection, le choc est total.

Le lever de rideau laisse pourtant présager le pire avec sa scénographie rougeoyante qui suinte le sang partout où se pose le regard, avec pour seul élément de décor une immense statue déboulonnée d’Agamemnon. Découverte quelques minutes plus tôt, une copie intacte de cette statue trône dans le grand escalier, permettant de découvrir le souverain dans toute sa majesté, avec ses attributs virils opulents et exhibés fièrement. Car c’est bien de désir contrarié dont nous parle l’ouvrage, en nous plongeant dans l’univers restreint des femmes abandonnées par Agamemnon: en l’absence du maître, comment briser l’ennui et continuer à vivre?

Son épouse, malade et insomniaque, trouve un réconfort dans les orgies sexuelles, ce que rappelle autant le rideau de scène que son entrée surprenante dans une cage cloutée – allusion à ses plaisirs masochistes. Le livret d’Hoffmansthal surprend tout du long par ses contrepieds astucieux: ainsi de la confrontation entre Electre et sa mère Clytemnestre, qui débouche sur une longue plainte de cette dernière sur son mal-être, évitant soigneusement le sujet fâcheux du meurtre d’Agamemnon. De même, les retrouvailles entre Electre et Oreste ne donnent pas lieu à l’effusion de joie attendue, l’héroïne semblant déjà avoir basculée dans une irrémédiable folie. Enfin, on se régale des dialogues troubles et évocateurs aux réminiscences symbolistes, entre rêves, pierres précieuses et chevelures.

La mise en scène de Michel Fau, dont c’est là la deuxième production consacrée à un ouvrage de Strauss après Ariane à Naxos en 2019 (ce spectacle sera repris à Montpellier l’an prochain), insiste sur la sauvagerie et l’exubérance de cette micro-société pétrie de croyances pour les dieux et les oracles. Admirablement variées par les éclairages, la scénographie unique pendant toute la représentation nous plonge dans un huis clos où rôde la folie des interprètes. Le jeu d’acteur très précis, aux gestuelles exacerbées et aux regards hallucinés, évoque souvent les étrangetés du Satyricon de Fellini – référence évidente pour Michel Fau. La musique, en revanche, se situe à mille lieux du film, ne cherchant pas à retrouver les sonorités oubliées des instruments grecs, pour mieux épouser le langage postromantique cher au compositeur bavarois.

Bien que réduite en une adaptation écrite par Strauss lui-même, l’orchestration aux effectifs démesurés embrase toute la salle du Capitole, à l’acoustique toujours aussi réjouissante d’équilibre: situé derrière le rideau de scène, l’orchestre déploie toute la violence du drame sous la baguette experte de Frank Beermann, spécialiste du répertoire germanique (voir notamment son Parsifal donné ici-même l'an passé). Autant les cuivres splendides de couleurs sombres que l’âpreté des attaques aux cordes sont pour beaucoup dans l’atmosphère tour à tour électrique et étouffante de moiteur.

Comment ne pas s’incliner, aussi, devant la perfection du trio vocal féminin réuni pour l’occasion? C’est là probablement l’une des meilleures propositions du moment, tant les interprètes semblent au fait de leurs moyens, recevant un triomphe public enthousiaste et mérité en fin de représentation. Ainsi de Ricarda Merbeth, qui après s’être illustrée pendant de nombreuses années dans le rôle de Chrysothémis, affronte désormais crânement le rôle-titre, imposant sans peine une vérité théâtrale déchirante. La ligne vocale est d’une souplesse idéale sur toute la tessiture, malgré quelques légères imperfections dans les brusques changements de registre en début d’ouvrage. A ses côtés, la Chrysothémis de Johanna Rusanen n’est pas en reste dans l’intention, bien portée par une émission opulente et colorée. Avec les mêmes atouts, Violeta Urmana (Clytemnestre) parvient à davantage de variété au niveau dramatique, ce qui donne à ses interventions vénéneuses un plaisir coupable. Luxueux Oreste, Matthias Goerne fait valoir sa diction millimétrée au service du texte, même si on note un manque de puissance dans les forte, face à Ricarda Merbeth. Tous les seconds rôles sont parfaits, achevant de nous convaincre de la réussite de la soirée.

La Saison n'est pas terminée à Toulouse: du 6 au 21 juillet, le public pourra se délecter d’une programmation alléchante à  l’occasion du festival «Les Nuits d’été au Capitole», dédié notamment au rare Déodat de Séverac. Trop tôt disparu à seulement 48 ans, cet élève d’Albéniz, d’Indy et Magnard resta toute sa vie attaché à ses origines, ce dont témoigne son intérêt pour les langues (occitan et catalan) et instruments méridionaux. L’occasion de parfaire la connaissance d’un compositeur aussi original qu’exigeant et attachant, qui se définissait lui-même comme un «musicien paysan».


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