On ne peut qu’être fasciné par la liste interminable d’artistes venus 
chercher la gloire musicale à l’étranger avec plus ou moins de bonheur, 
et tout particulièrement à Paris. Parmi eux, le cas des compositeurs 
issus de la péninsule italienne surprend plus encore, tant la virtuosité
 n’avait pas bonne presse dans notre pays depuis Lully et son art 
déclamatoire laissant davantage de place au théâtre. Au gré des 
nombreuses controverses entre tenants de la tradition et réformateurs, 
tout au long du XVIIIe siècle, les partisans des deux camps 
s’affrontent, ce que Bru Zane a déjà largement documenté avec les 
enregistrements consacrés à Sacchini, Salieri et, dans une moindre mesure, Spontini.
On se réjouit que le trente‑quatrième volume de la collection honore 
enfin la figure de Luigi Cherubini (1760‑1842), lui qui passa les 
cinquante‑cinq dernières années de sa vie en France, obtenant la 
naturalisation et tous les honneurs académiques dus à son éminente 
carrière. Cherubini se joua habilement des nombreux changements de 
régime à partir de 1789, tout en restant le protégé du futur 
Louis XVIII. Les succès éclatants se suivent ainsi entre Lodoïska (1794), un ouvrage admiré de Beethoven, Médée (1797) et surtout Les Deux Journées
 (1800). Moins apprécié ensuite, notamment par Napoléon, le compositeur 
cherche à rejoindre Vienne, mais échoue à séduire le prince Nicolas II 
Esterházy avec sa monumentale Messe solennelle en ré (1811), spécialement composée à son attention (voir le superbe enregistrement réalisé par Frieder Bernius en 2001).
C’est dans ce cadre d’incertitude que le compositeur s’attelle à la composition de l’un de ses plus vastes ouvrages, Les Abencérages
 (1813), pour l’Opéra de Paris. L’échec relatif du projet le conduit 
ensuite à un silence lyrique de près de vingt ans, interrompu avec son 
dernier opéra Ali Baba ou Les Quarante Voleurs – un échec retentissant.
Par rapport à ses succès des années 1790, le style de Cherubini a évolué
 en 1813 vers une attention plus soutenue à l’harmonie, admirablement 
étagée par les vents : l’orchestre est ainsi davantage un acteur du 
drame et plus seulement un soutien docile des chanteurs. A la baguette, 
on retrouve Győrgy Vashegyi, plus connu en tant que partenaire du Centre
 de musique baroque de Versailles, avec lequel il a gravé de nombreux 
disques consacrés à l’art de Rameau, notamment (Naïs, Les Fêtes de Polymnie, Dardanus).
 En rejoignant les équipes de Bru Zane pour une incursion dans le 
préromantisme, le chef hongrois fait ressortir les nombreuses sonorités 
savantes de l’orchestration de Cherubini, mais néglige quelque peu les 
contrastes entre verticalités, moins saillantes que dans la version 
abrégée de Peter Maag (Arts Archives, 1975).
Hormis la coupure d’une partie des ballets, l’ouvrage bénéficie ici 
d’une édition complète, ce qui constitue son atout décisif. La 
distribution vocale, de bonne tenue, peine toutefois à apporter un 
relief particulier à l’ensemble. Malgré un timbre charnu et agréable, 
Anaïs Constans (Noraïme) manque ainsi de variété au niveau 
interprétatif, tandis qu’Artavazd Sargsyan (Gonzalve, Le troubadour) 
pèche par un volume insuffisant pour assumer son double rôle avec 
conviction. On lui préfère l’Almanzor d’Edgaras Montvidas, crédible dans
 ses élans, au vibrato maîtrisé (contrairement à d’autres 
enregistrements précédents avec le Palazzetto) ou encore l’Alémar de 
Thomas Dolié, toujours aussi solide dans ses différentes interventions. 
L’excellent Chœur Purcell, très sollicité par la partition, apporte un 
soutien décisif, en portant un soin à la nécessaire diction. 
Parce que la culture se conjugue sous plusieurs formes, il sera sujet ici de cinéma, de littérature, de musique, de spectacles vivants, selon l'inconstante fantaisie de son auteur
mercredi 14 décembre 2022
« Les Abencérages ou L’Etendard de Grenade » de Luigi Cherubini - Győrgy Vashegyi - Disque Palazzetto Bru Zane
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