lundi 2 décembre 2013

« Les Danaïdes » d'Antonio Salieri - Opéra de Versailles - 27/11/2013

Après le Theater an der Wien en Autriche et avant l’Arsenal à Metz, Salieri et son opéra « les Danaïdes » font une halte à Versailles. L’occasion d’entendre un petit maître au métier sûr, particulièrement habile dans les variations de climats, et ici servi par un excellent trio d’interprètes.
Judith Van Wanroij
Les caprices de la postérité réservent parfois bien des surprises. Prenez le cas du jeune compositeur Ignaz Pleyel, redoutable concurrent de son ancien professeur Joseph Haydn lors des concerts londoniens des années 1790. Aujourd’hui, seuls quelques mélomanes avertis connaissent ses œuvres, tandis qu’il doit sa seule renommée à la vente de pianos dans le monde entier. De même, que pèse la musique de William Herschel face à sa notoriété d’astronome à qui l’on doit la découverte de la planète Uranus ?
Alors qu’il obtint pourtant de nombreux succès de son vivant, Antonio Salieri (1750-1825) fait également partie de ces compositeurs connus pour autre chose que leur musique. Une légende tenace et infondée le rend ainsi responsable du décès prématuré de son jeune concurrent Mozart en 1791. Ce sont notamment l’ouvrage de Pouchkine Mozart et Salieri, puis la pièce Amadeus (adaptée au cinéma par Milos Forman) qui ont contribué à entretenir l’image détestable du petit maître italien. Occultant tous les mérites de l’auteur d’une remarquable carrière à Vienne, qui le mène à la prestigieuse charge de maître de chapelle de la cour impériale d’Autriche de 1788 à 1824.
Un subterfuge pour tromper la reine
Dès 1784, Salieri obtient le rare privilège de composer un opéra pour la reine Marie-Antoinette, et ce grâce à un subterfuge qui attribue la paternité de l’œuvre à son protecteur Gluck. La représentation des Danaïdes est un triomphe. Salieri s’adapte habilement au goût parisien en proposant une œuvre courte (un peu plus de deux heures malgré ses cinq actes) fondée sur un découpage en scènes tout aussi brèves, qui offrent à l’ouvrage un rythme entraînant. Même si on peut regretter quelques faiblesses notables en matière d’inspiration mélodique, de nombreuses variations d’atmosphère soutiennent un intérêt constant, tournant le dos à une optique résolument tragique.
Cette incontestable vigueur offre une urgence bienvenue à cette histoire de vengeance aveugle menée par Danaüs, l’intransigeant père des Danaïdes. Feignant la réconciliation, celui-ci somme ses filles d’épouser puis d’assassiner les fils de son ennemi Lyncée. Seule la courageuse Hypermnestre ose braver l’ordre paternel afin de bouleverser ce destin cruel. Dans ce rôle marquant, Judith Van Wanroij porte son texte avec une présence étonnante pour une version de concert. Comédienne accomplie, elle impose sa voix agile et souple, d’une élégance constante, se jouant aisément de toutes les difficultés vocales.
Lumineuse Judith Van Wanroij
Une lumineuse soprano parfaitement épaulée par ses deux principaux partenaires masculins, dont on retient surtout la voix claire et éloquente de Philippe Talbot, lui aussi très investi dans son rôle de Lyncée. Tandis que Tassis Christoyannis (Danaüs) montre à nouveau ses belles qualités de projection et de diction – à peine aurait-on aimé davantage de variété dans ses phrasés un rien trop prévisibles. À la baguette, on retrouve Christophe Rousset, toujours attentif aux détails et à l’étagement des différents groupes d’instruments. Drôle d’idée cependant que d’installer l’orchestre sur la scène, ce qui n’aide pas vraiment le chœur des Chantres du Centre de musique baroque de Versailles à rendre audible certains passages pianissimo. Un ensemble local qui met un peu de temps à se chauffer, mais qui emporte l’adhésion, particulièrement dans le superbe chœur conclusif. Salieri, à l’inspiration inégale dans cette partition, sait soigner sa sortie.

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