Après le Theater an der Wien en Autriche et avant l’Arsenal à Metz, Salieri et son opéra
« les Danaïdes » font une halte à Versailles. L’occasion d’entendre un petit maître au métier sûr, particulièrement habile dans les variations de climats,
et ici servi par un excellent trio d’interprètes.
Judith Van Wanroij |
Alors qu’il obtint pourtant de nombreux succès de son vivant,
Antonio Salieri (1750-1825) fait également partie de ces compositeurs
connus pour autre chose que leur musique. Une légende
tenace et infondée le rend ainsi responsable du décès prématuré de
son jeune concurrent Mozart en 1791. Ce sont notamment l’ouvrage
de Pouchkine
Mozart et Salieri, puis la pièce Amadeus
(adaptée au cinéma par Milos Forman) qui ont contribué à entretenir
l’image détestable du petit
maître italien. Occultant tous les mérites de l’auteur d’une
remarquable carrière à Vienne, qui le mène à la prestigieuse charge de
maître de chapelle de la cour impériale d’Autriche
de 1788 à 1824.
Un subterfuge pour tromper la reine
Dès 1784, Salieri obtient le rare privilège de composer un opéra
pour la reine Marie-Antoinette, et ce grâce à un subterfuge qui attribue
la paternité de l’œuvre à son protecteur Gluck. La
représentation des Danaïdes est un triomphe. Salieri
s’adapte habilement au goût parisien en proposant une œuvre courte (un
peu plus de deux heures malgré ses
cinq actes) fondée sur un découpage en scènes tout aussi brèves,
qui offrent à l’ouvrage un rythme entraînant. Même si on peut regretter
quelques faiblesses notables en matière
d’inspiration mélodique, de nombreuses variations d’atmosphère
soutiennent un intérêt constant, tournant le dos à une optique
résolument tragique.
Cette incontestable vigueur offre une urgence bienvenue à cette
histoire de vengeance aveugle menée par Danaüs, l’intransigeant père
des Danaïdes. Feignant la réconciliation, celui-ci
somme ses filles d’épouser puis d’assassiner les fils de son
ennemi Lyncée. Seule la courageuse Hypermnestre ose braver l’ordre
paternel afin de bouleverser ce destin cruel. Dans ce rôle
marquant, Judith Van Wanroij porte son texte avec une présence
étonnante pour une version de concert. Comédienne accomplie, elle impose
sa voix agile et souple, d’une élégance
constante, se jouant aisément de toutes les difficultés vocales.
Lumineuse Judith Van Wanroij
Une lumineuse soprano parfaitement épaulée par ses deux principaux
partenaires masculins, dont on retient surtout la voix claire et
éloquente de Philippe Talbot, lui aussi très
investi dans son rôle de Lyncée. Tandis que Tassis Christoyannis (Danaüs)
montre à nouveau ses belles qualités de projection et de diction
– à peine aurait-on aimé davantage de variété dans ses phrasés un rien
trop prévisibles. À la baguette, on retrouve
Christophe Rousset, toujours attentif aux détails et à l’étagement
des différents groupes d’instruments. Drôle d’idée cependant que
d’installer l’orchestre sur la scène, ce qui n’aide pas
vraiment le chœur des Chantres du Centre de musique baroque
de Versailles à rendre audible certains passages pianissimo. Un
ensemble local qui met un peu de temps à
se chauffer, mais qui emporte l’adhésion, particulièrement dans le
superbe chœur conclusif. Salieri, à l’inspiration inégale dans cette
partition, sait soigner sa sortie.
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