D’abord dévolu aux seuls violonistes, le Concours musical international
Reine Elisabeth (du nom de la souveraine belge qui a soutenu l’événement
dès sa création en 1937) s’est peu à peu étendu à d’autres domaines :
piano, violoncelle, chant et composition alternent ainsi chaque année
avec le violon. C’est précisément ce dernier instrument qui a permis
cette année de décerner le premier prix à l’Ukrainien Dmytro
Udovychenko, qui rejoint des noms aussi illustres que David Oïstrakh,
Leonid Kogan ou plus près de nous Vadim Repin, Nikolaj Szeps‑Znaider,
Baiba Skride et Sergey Khachatryan – excusez du peu !
Si les trois premiers lauréats sont appelés à se produire dans toute la
Belgique après la compétition, il en va de même pour les quatrième,
cinquième et sixième, tous réunis pour quelques concerts. On retrouve
ces jeunes pousses dans la salle Reine Elisabeth d’Anvers, attenante au
zoo et à la monumentale gare centrale. Bien qu’ayant conservé sa façade
historique de 1903, le bâtiment intérieur a été entièrement rénové
en 2016 pour permettre la construction d’un auditorium flambant neuf,
d’une capacité de 2 000 places. La salle aux lignes épurées bénéficie de
sa forme en boîte à chaussures, expliquant le bon confort acoustique
(malgré le peu de réverbération sur les côtés).
La soirée débute avec le Troisième Concerto (1880) de Saint‑Saëns
interprété par la sixième lauréate, la Japonaise Minami Yoshida (née
en 1998). Comme souvent pour ce genre d’événement, on mesure toute la
difficulté pour d’aussi jeunes interprètes à se confronter à la réalité
du concert, alors qu’une grande partie du public est habitué à des
artistes plus aguerris. Yoshida n’échappe pas à cet écueil comparatif,
en proposant un jeu d’une grande solidité technique, mais sans grandes
prises de risque, ni surprises. Le son global manque aussi d’un peu de
volume, mais c’est clairement au niveau de l’intention que pèche la
Japonaise, beaucoup trop timorée pour dépasser une lecture sobre et
linéaire.
Le cinquième lauréat, Julian Rhee (né en 2000), s’en sort mieux au
début, en montrant une volonté de fouiller quelques détails du Premier Concerto
(1868) de Bruch. L’ensemble de sa prestation reste toutefois inégal,
entre l’incontestable maîtrise de son instrument (superbe virtuosité
dans le Finale) et la difficulté à articuler ses phrasés avec
l’orchestre. C’est bien en ce dernier domaine que l’Américain doit
progresser, pour se hisser au niveau de son compatriote Kevin Zhu (né
en 2000), incontestablement le violoniste le plus intéressant de la
soirée.
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Kevin Zhu |
On le retrouve après l’entracte dans le passionnant Premier Concerto
(1955) de Chostakovitch, qui lui permet de faire l’étalage de ses
nuances sans ostentation dans la longue et sombre méditation initiale,
avant de se régaler des sonorités burlesques du Scherzo, en écho avec
tout l’orchestre. L’atmosphère tragique de la Passacaille s’épanouit
sans pathos excessif, en faisant ressortir la sublime cadence, ici
interprétée avec une maturité qui force l’admiration. L’effet
d’accélération qui s’empare peu à peu de l’auditeur est l’un des grands
moments de la soirée, avant le dernier mouvement, captivant par son
urgence parfaitement maîtrisée.
Les trois interprètes bénéficient de la direction toute d’agilité et de
précision de Tung‑Chieh Chuang (né en 1982), peut‑être plus à l’aise
dans l’entrecroisement rythmique et les états d’âme de Chostakovitch,
tout en faisant ressortir les belles sonorités de l’Orchestre
symphonique d’Anvers. La fin de soirée est l’occasion de savourer un
unique bis entre les violonistes, qui lâchent tous enfin la bride pour
se saisir d’un hommage inattendu à Freddie Mercury, en un pot‑pourri
démonstratif et bien accueilli par un public résolument chaleureux.
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